Ponctué de petits fortins, ancré dans les esprits et dans les discours, l'oasis de Figuig résiste. Ses cultivateurs marocains inventent des stratégies d'adaptation en terme d'organisation socio-spatiale face à la réalité fortement contrainte imposée par les agissements du pouvoir algérien. «Cette terre, on la cultive de père en fils depuis des générations », dit fièrement Abdelmajid Boudi en montrant les jardins verdoyants de l'oasis de Figuig, vestiges de la grandeur passée de cet ancien carrefour caravanier en plein déclin, à la frontière du Maroc et de l'Algérie. Comme ses ancêtres, ce cultivateur de 62 ans vit de ses dattes avec ses deux parcelles au cœur du «ksar» de Zenada, un des quartiers fortifiés de l'oasis, aux confins des montagnes de l'Atlas et du désert saharien. Ici, la pollinisation des fleurs et la récolte des fruits se font comme autrefois, à la main, en grimpant en haut des arbres pour travailler debout, en équilibre sur les palmes des dattiers. «Notre culture est très attachée à l'agriculture : l'oasis, c'est un mode de vie», assure Abdelmajib Boudi, qui exerce aussi la fonction cruciale de «zrayfi» (aiguadier), chargé de la répartition de l'eau entre les «abonnés» via un réseau complexe d'irrigation hérité du passé. «Les gens d'ici sont liés à leur terre, nos veines sont irriguées par nos racines», assure Rajae Boudi, sa cousine. Comme beaucoup, cette enseignante d'une quarantaine d'années a quitté sa ville natale pour trouver un emploi mais revient «dès qu'elle peut» voir les siens. «On a résisté à tout» Ces dernières décennies, l'oasis a perdu la moitié de ses habitants. Près du tiers des jardins sont en friche, près de la moitié de ses 2 000 maisons anciennes sont «dégradées ou en ruines», selon des études universitaires. Mais ceux qui sont partis contribuent à la survie de l'oasis, notamment en investissant dans de nouvelles plantations de palmiers dattiers autour du périmètre historique, comme le souligne Mustapha Lali, un historien élu à la municipalité de Figuig de 1992 à 2016. «Nous sommes une communauté très soudée», explique Yamina Hakkou, une aubergiste de 58 ans qui aime faire découvrir aux visiteurs les jardins de l'oasis, ses bassins d'eau, son architecture mêlant pierre, terre crue et bois de palmier. Dans le labyrinthe des ruelles de Zenaga, le plus grand des six quartiers fortifiés et le mieux préservé, tout le monde se connaît. Pour sortir, les femmes se drapent dans des haïks de coton blanc. A la saison des grands froids, les hommes portent des burnous de laine tissée à la main. Et tout le monde parle l'amazigh, langue des Berbères. «On a gardé notre langue, on a résisté à tout», souligne Mohamed Djilali, le président d'une association locale. Mais le carrefour stratégique, qui a accueilli «jusqu'à mille chameaux» au faîte de sa gloire, «décline depuis la création d'une frontière entre le Maroc et l'Algérie», en 1845, à l'époque de la colonisation française, rappelle Mustapha Lali. Relativement épargné par les bombardements de l'armée française en 1903 et par la «guerre des sables» entre le Maroc et l'Algérie dans les années 1960, le centre marchand est devenu un cul-de-sac depuis la fermeture totale de la frontière, en 1994, en lien avec les relations conflictuelles entre Rabat et Alger. De trop rares touristes Surtout, l'oasis millénaire a vu se rétrécir son «espace vital» composé de petites palmeraies satellites dispersées autour de l'oued qui sert désormais de frontière : les différends diplomatiques entre les deux pays voisins débouchent ponctuellement sur des expulsions de cultivateurs marocains de leurs «terres ancestrales» situées côté algérien, rappelle Mustapha Lali. Ainsi, la semaine dernière, l'armée algérienne a été déployée pour interdire le passage vers l'oasis d'El Arja, dite «Laaroda» en Algérie, jusque-là toléré malgré la fermeture de la frontière Les 1 500 hectares de cultures desservies par le réseau électrique marocain et irriguées par pompage de la nappe phréatique se sont ajoutés aux « spoliations » précédentes recensées par le Maroc depuis 1955 et touchant 130 000 palmiers sur 2 000 hectares de terre répartis dans 23 secteurs frontaliers proches. «Les palmiers font vivre les familles, cette nouvelle perte va aggraver la situation économique», s'inquiète Mustapha Lali. Malgré la beauté du site, les touristes restent très rares du fait de la situation géographique excentrée, à plusieurs heures de route de Rabat, Fès ou Marrakech. Les dernières expulsions coïncident avec les évolutions qu'a connues dossier du Sahara. Alger, qui soutient les séparatistes, multiplie provocations et actes unilatéraux après les récentes percées diplomatiques de Rabat.