Joe Biden a été élu samedi président des États-Unis, l'emportant face à Donald Trump et mettant fin à une séquence politique inédite qui a secoué l'Amérique et le monde. Après quatre jours de suspense dans un pays à fleur de peau, l'ancien vice-président de Barack Obama a, selon les projections des chaînes CNN, NBC et CBS, franchi le seuil «magique» de 270 grands électeurs. Il deviendra, le 20 janvier 2021, le 46e président des États-Unis. À la suite d'une demande de recomptage des votes au Wisconsin, légale en raison d'un écart inférieur à 1 %, la firme Edison Research a choisi d'attendre avant de déclarer un vainqueur dans cet État. Ainsi, notre carte s'aligne plutôt avec les prédictions des cinq grandes chaînes de télévision américaines, qui accordent une victoire à Joe Biden. Sa colistière, Kamala Harris, entrera dans l'Histoire en devenant la première femme noire à accéder à la vice-présidence. Donald Trump, qui briguait un second mandat de quatre ans, n'a, à ce stade, pas reconnu sa défaite. Il a jusqu'ici adopté une posture très belliqueuse, promettant une véritable guérilla judiciaire. À l'issue d'une campagne d'une agressivité inouïe, chamboulée par la pandémie de COVID-19, le tempétueux président de 74 ans a échoué à se faire réélire, contrairement à ses trois prédécesseurs Barack Obama, George W. Bush, Bill Clinton. À la fois révélateur et amplificateur des profondes fractures de l'Amérique, il aura, pendant quatre ans, provocations et tweets à l'appui, brisé tous les codes et piétiné tous les usages. Consécration tardive Pour Joseph Robinette Biden Jr., 77 ans, «lion de l'histoire américaine» selon les termes de Barack Obama, la consécration suprême sera arrivée tard, à l'issue d'une riche vie en politique jalonnée de tragédies. Les drames personnels qu'il a traversés ont façonné cet homme au ton chaleureux. Ses douleurs et ses doutes, qu'il n'hésite pas à partager en public sur le ton de la confidence, font partie intégrante de son personnage. Après avoir échoué en 1988 et 2008, puis hésité en 2016, celui qui a débuté sa carrière politique nationale au Sénat il y a près d'un demi-siècle (et connaît le fonctionnement de Washington sur le bout des doigts) obtient enfin les clés de la Maison-Blanche. À la faveur d'une campagne inédite, le démocrate a pris l'avantage sur l'ancien homme d'affaires en se contentant d'apparitions limitées et en faisant à l'Amérique une promesse de calme. «Nous pouvons mettre fin à cette présidence qui, depuis le début, a cherché à nous diviser, à nous déchirer», martelait-il dans les dernières heures de la campagne. Il sera le président le plus âgé de l'histoire des États-Unis au début de son mandat. Dans un contraste saisissant avec l'énergie déployée sur les estrades de campagne par Donald Trump, celui que le président a affublé du surnom moqueur de «Joe l'endormi» a parfois donné l'image d'un homme frêle, fragile. En fin stratège, il a réussi son pari en remportant la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin, trois États industriels traditionnellement démocrates que Donald Trump avait arrachés à Hillary Clinton en 2016. Mais dans une Amérique profondément divisée, et face à un Sénat qui pourrait rester aux mains des républicains, il devra trouver le ton juste. L'ombre de la pandémie Pour Donald Trump Trump, entré avec fracas en politique en remportant la présidentielle en 2016 à la stupéfaction générale, cette défaite marque selon toute vraisemblance la fin de sa carrière politique. Pour un homme qui martèle quotidiennement son souci de «gagner, gagner, gagner» et moque sans relâche les «losers», la claque est rude. Si la vague démocrate annoncée par certains n'a pas eu lieu, et s'il a montré qu'il disposait d'un très solide socle d'électeurs, son refus obstiné d'élargir son audience a fini par lui coûter cher. Sa gestion de la pandémie, qu'il a sans cesse minimisé en dépit d'un lourd bilan de plus de 230 000 morts, lui a valu de vives critiques, jusque dans son propre camp. Le fait qu'il ait lui-même été touché par la COVID-19 lui offrait une occasion inespérée de changer de ton dans la toute dernière ligne droite. De faire enfin preuve d'empathie, de trouver les mots pour dire l'angoisse que suscite ce virus. Il ne l'a pas saisie. Cette défaite étroite aurait aussi pu lui permettre de quitter le pouvoir en revendiquant une forme d'héritage politique. Très amer, il a cependant choisi une autre voie, agressive. Vendredi, il a une nouvelle fois crié à la fraude, sans apporter le moindre élément concret. «Si vous comptez les votes légaux, je gagne facilement. Si vous comptez les votes illégaux, ils peuvent essayer de nous voler l'élection», a-t-il lancé jeudi dans une tirade brouillonne, truffée d'approximations et de contre-vérités sur le décompte en cours. Ses avocats ont lancé de multiples actions judiciaires avec par exemple la menace de demander un recomptage dans le Wisconsin. Les démocrates estiment les plaintes sans fondement, mais ces recours pourraient retarder de plusieurs jours ou semaines l'homologation des résultats. Dans le Michigan et la Géorgie, deux juges ont déjà rejeté des recours républicains. Trump isolé dans son camp Donald Jr et Eric, deux des fils du président, se sont eux lancés depuis plusieurs jours dans une campagne de désinformation pour persuader leurs troupes que des tricheries massives étaient en cours. Mais le 45e président des États-Unis apparaît isolé au sein de son propre parti dans sa croisade contre un «vol» du scrutin dont il aurait été la victime. «Le discours du président hier soir m'a beaucoup dérangé, car il a formulé des allégations très, très graves, sans aucune preuve», a dit vendredi matin le sénateur républicain de Pennsylvanie Pat Toomey. Karl Rove, l'ancienne éminence grise de George W. Bush qui arracha lui-même la présidence en 2000 à l'issue d'une guérilla judiciaire en Floride, a d'ailleurs souligné que des fraudes sur des centaines de milliers de bulletins de vote, dans de multiples États, requerraient un complot digne d'un film de James Bond. Fidèle à la posture rassembleuse adoptée depuis des mois en campagne, Joe Biden avait appelé vendredi soir au calme et à la patience, de disant certain de sa victoire. «Il est temps de nous rassembler», avait-il déclaré. «Nous devons surmonter la colère». Le premier ministre canadien Justin Trudeau a félicité le président-élu dans un tweet.