La commission spéciale dédiée à repenser le modèle de développement et de réduire les disparités sociales au Maroc continue ses travaux. Cette commission consultative, qui doit remettre son rapport début 2021, mène depuis des semaines une série d'auditions avec des membres de la société civile. L'intervention démagogue d'un vidéaste a irrité plus qu'un. C'est l'action quotidienne des institutions qui devrait principalement intéresser tous ceux qui ont le droit, le devoir ou l'intérêt de s'occuper des affaires publiques. La commission spéciale chargée de repenser le modèle de développement et de réduire les disparités sociales au Maroc a invité Mustapha "Swinga", alias Mustapha El Fekkak, M. Coronavirus qui a été chargé de sensibiliser les Marocains au début de la crise sanitaire. Durant cette rencontre, la liberté créative surnage sur le fond des discussions. Le vidéaste évoque justement le projet de loi 22.20 qui a mis l'opinion publique en émoi. Baptisé «loi muselière» ou encore «loi bavette». Ce texte avait été adopté en pleine crise sanitaire par le gouvernement, en mars, sans avoir été publié. Il a été révélé par des fuites et son contenu donnait l'idée d'une envie d'encadrer l'utilisation les réseaux sociaux. Face au tollé, le ministre de la justice a demandé le report de l'examen de cette loi. Ensuite, "Swinga" aborde de manière caricaturale la campagne de boycott lancée mi-2018 contre le lait, l'eau et le carburant vendus par trois marques célèbres. Alors que le vidéaste affirme que ce mouvement était résultat d'une «envie» et d'une «rage», expression «d'une certaine liberté», il omet de toucher le fond du sujet, à savoir les politiques gouvernementales qui ont engendré un niveau colossal des marges des grands groupes, surtout celles excessives des distributeurs de carburants depuis la libéralisation du secteur par l'ancien chef du gouvernement Abdel-ilah Benkiran. Puis, quand "Swinga" se goure, c'est lorsqu'il parle de la liberté de presse. Par quelle insigne maladresse quelqu'un qui se présente au public comme créateur de contenus choisit-il un moment où les questions politiques, sociales et sanitaires entretiennent dans les esprits des préoccupations si étendues pour se livrer à des excentricités verbales sur un sujet qui le dépasse ? Ce vidéaste, qui veut opposer une résistance intrépide aux lois contraires à la liberté voit ses productions tournées en boucle sur le Web. Lui-même est invité partout, intervient partout, s'exprime partout. Les sceptiques n'ont le courage de se servir de la liberté que pour tuer la liberté. Au lieu de la revendiquer aujourd'hui pour tant de personnes opprimées à qui elle manque (dont les femmes victimes d'abus sexuels), il a passé son temps à répéter des fables ridicules qu'il décore du nom de faits. Ce mélange d'affectation et de bouffonnerie qui cherche à flatter les bas instincts d'une certaine coterie, mentionne des affaires sur lesquelles la justice se prononcera. "Swinga" aime tant à tourner ses opinions en paradoxes. Au lieu d'étudier son sujet, il excelle dans la caricature, il n'a pas d'égal dans la parade ; et il est fâcheux pour les circonstances actuelles et la dignité de la presse qu'ils aient cherché l'emploi de ses petits succès dans la défense d'individus qui affrontent de graves accusations. N'y a-t-il donc pas de voix au sein des créateurs marocains qui se puisse faire entendre au-dessus de ces furieuses clameurs, et qui vienne enfin assainir les débats, et les élever au-dessus du champ de combat des énergumènes ? On aurait aimé entendre "Swinga" sur le moral des ménages marocains vis-à-vis de leur niveau de vie, qui s'est globalement dégradé en 2019, tout comme leur perception concernant le coût de la vie, le chômage et l'épargne. On aurait aimé l'entendre sur la qualité de l'enseignement et des services de santé, les deux grands sujets de mécontentement de la population. On aurait aimé l'entendre sur le creusement des inégalités sociales à cause des politiques du gouvernement. On aurait aimé l'entendre sur les «1,6 million de personnes» sur 35 millions d'habitants, qui sont en «situation de pauvreté» en raison des mauvais choix de gestion de la coalition guidée par le PJD depuis 2012. L'intervention de "Swinga" est une double injure pour la liberté qu'il fait profession de servir, et pour le débat enrichissant à travers lequel il cherche, par d'autres moyens, à surexciter les vanités puériles. Une cause qui se retranche dans une pareille démarche est moralement vaincue. Elle s'enferre et se cloue elle-même aux deux cornes de son faux dilemme. "Swinga" risque de devenir un grand pontife de la démagogie, que personne n'écoute mais qui crie beaucoup pour suppléer au nombre par le bruit. Les harangueurs, les crieurs, les gens qui viennent dans les tribunes officielles prêcher contre les progrès du Maroc, on en a trop.