Condamné à trois ans de prison en première instance, Khaled Drareni, dont le verdict relatif à son dossier est attendu le 15 septembre, est une vraie victime d'un système qui recycle ses anciennes méthodes. Khalid Drareni, éminent journaliste algérien, a été condamné en août à trois ans de prison pour avoir couvert des manifestations anti-gouvernementales. C'est le dernier signe d'un durcissement de la répression de la presse en Algérie, qui a suscité la condamnation des observateurs internationaux. Khaled Drareni, 40 ans, emprisonné depuis mars après avoir couvert une manifestation du mouvement de protestation connu sous le nom de Hirak, a été condamné par un tribunal d'Alger pour «incitation à un rassemblement non armé» et «mise en danger de l'unité nationale». Les manifestations du Hirak ont secoué l'Algérie en 2019, exigeant de profondes réformes et forçant la destitution du dirigeant de longue date du pays, Abdelaziz Bouteflika. Ses avocats ont déclaré qu'il avait été emprisonné et condamné pour avoir fait son travail. «Les charges sont totalement vides», a déclaré son avocat, Abdelghani Badi, dans un communiqué. «Il n'a fait que donner des informations, en mots et en images. Il n'a rien fait de plus que son travail de journaliste.» «Même le jour de son arrestation, il ne faisait que son travail», a déclaré M. Badi. «La justice en Algérie sert le pouvoir et le système, pas le peuple et l'État», a-t-il indiqué. Le nouveau régime qui a remplacé celui de Bouteflika se montre de plus en plus intolérant à la fois au mouvement de protestation et aux journalistes algériens qui en rendent compte, selon les analystes. Au moins cinq autres journalistes en plus de M. Drareni ont été condamnés ces derniers mois ou sont emprisonnés en attendant d'être jugés. Plusieurs dirigeants du mouvement Hirak ont été arrêtés et libérés. Le mouvement Hirak n'a jamais accepté la légitimité du successeur mal élu de M. Bouteflika, Abdelmadjid Tebboune, Premier ministre du gouvernement précédent, affirmant que l'élection en décembre 2019, boycottée par l'opposition politique, était viciée. Le Hirak continue d'appeler à une réforme politique et à la fin de l'ingérence de l'armée dans la vie politique du pays. L'ONG International Crisis Group a noté dans un récent rapport que le resserrement de la sécurité en Algérie était devenu «palpable», et a noté qu'il se déroulait dans un contexte de crise économique et de baisse des prix du pétrole et du gaz, dont le gouvernement dépend pour la plupart de ses revenus. Des purges et des arrestations à grande échelle dans la classe économique du pays ont conduit à la fermeture d'environ 60% des entreprises de travaux publics. M. Drareni est rédacteur en chef du site Web influent Casbah Tribune et correspondant de la chaîne de télévision française TV5 Monde et Reporters sans frontières. Les procureurs d'État avaient réclamé une peine encore plus sévère que les trois ans. La condamnation de M. Drareni était «arbitraire, absurde et violente», a déclaré le chef de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, dans un communiqué lundi. «Il s'agit clairement de la persécution judiciaire d'un journaliste qui fait honneur à son pays», a déclaré M. Deloire. Le Comité pour la protection des journalistes, basé aux États-Unis, a déclaré que la détention de M. Drareni et les accusations portées contre lui «tournent en dérision les promesses de réforme du président algérien Abdelmadjid Tebboune et remettent le pays sur la voie laide pour museler la dissidence». Face à la pandémie de coronavirus, les dirigeants du Hirak avaient appelé à la suspension des manifestations hebdomadaires le 17 mars. L'International Crisis Group a noté dans son rapport que, depuis lors, les mesures de sécurité «se sont fait sentir encore plus fortement». Le 22 avril, les représentants du parlement algérien ont proposé de «criminaliser» les reportages qui «menaçaient l'ordre public et la sécurité de l'État». Plusieurs organes de presse en ligne ont ensuite été black-out pour avoir critiqué M. Tebboune. Un procès sans témoins Lors de l'audience, mardi 8 septembre à Alger, le procureur a requis, comme en première instance, quatre années de prison ferme et une amende de 50 000 dinars contre M. Drareni. RSF a ainsi dénoncé «la volonté manifeste des autorités de limiter la couverture médiatique du très symbolique procès en imposant, sans préavis, de nouvelles restrictions d'accès aux journalistes». Deux co-inculpés, Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, figures du hirak, étaient aussi présents à l'audience. Le procureur a également requis quatre ans de prison ferme contre eux. Ils avaient écopé chacun de deux ans de prison, dont quatre mois ferme, mais se présentent libres devant le tribunal, après avoir purgé leur peine. Le verdict est attendu le 15 septembre. «Je suis un journaliste et non un criminel» Au cours de l'appel, Khaled Drareni, 40 ans, devenu un symbole du combat pour la liberté de la presse en Algérie et soutenu par une forte mobilisation pour sa libération, a nié les accusations portées contre lui. «Je suis un journaliste et non un criminel. Le journalisme que je pratique ne menace pas la sécurité du pays mais le protège», s'est-il défendu, à l'issue de l'audience. Incarcéré depuis le 29 mars au centre pénitentiaire de Koléa près d'Alger, Khaled Drareni avait été arrêté à Alger le 7 mars alors qu'il couvrait une manifestation du hirak, le soulèvement populaire qui a secoué l'Algérie pendant plus d'un an jusqu'à sa suspension il y a quelques mois en raison de la pandémie de nouveau coronavirus. Le journaliste est aussi accusé d'avoir critiqué sur Facebook le système politique. «Depuis le premier jour, je n'ai fait que mon métier de journaliste. Je suis là parce que j'ai couvert le Hirak en toute indépendance», s'est-il défendu lors de l'audience, selon un des très rares journalistes autorisés à pénétrer au tribunal. «C'est quelqu'un qui garde le moral. Il n'est pas abattu. C'est quelqu'un qui aime son métier, il est fier, parce qu'il sait qu'il n'a rien à se reprocher», a confié une avocate, Aouicha Bekthi à la sortie du tribunal. Mobilisation internationale Depuis sa condamnation, les appels à libérer Khaled Drareni se sont multipliés, au-delà même des frontières de l'Algérie. Lundi 7 septembre, journalistes et militants des droits humains se sont rassemblés à Paris, Alger et Tunis en scandant «Libérez Khaled !». Ils dénoncent notamment le traitement que subit le journaliste : «Il s'agit de la peine de prison la plus lourde prononcée depuis l'Indépendance contre un journaliste pour son travail », ont affirmé les signataires de la pétition en ligne appelant à sa libération. Des journalistes ont été accusés par le régime de semer la «subversion» et d'être à la solde de «parties étrangères». Plusieurs sont en prison. Drareni, symbole tourmenté de la liberté d'expression En mai, le président Abdelmadjid Tebboune lui-même avait laissé entendre, sans le citer nommément, que Khaled Drareni était un «informateur pour le compte des ambassades étrangères». Allégation invoquée également selon des avocats par le ministre de la Communication, Ammar Belhimer, qui reproche au correspondant de TV5 Monde d'avoir travaillé sans jamais avoir eu de carte de presse professionnelle. «Le pouvoir algérien a voulu faire un exemple pour intimider tous les journalistes en Algérie» mais « il en a fait un symbole de défense de la liberté de la presse», a ajouté Christophe Deloire. Même son de cloche du côté de l'écrivain Yasmina Khadra. Invité sur le plateau de l'émission Maghreb Orient Express, l'écrivain a déclaré «qu'il faut se battre pour la liberté d'expression, et non pas pour une seule personne, Khaled Drareni est une victime d'un système, qui n'a pas encore compris que ce n'est pas l'autisme qui permet à une nation de s'émanciper». Aussi, l'ONU, l'Union européenne et l'Union africaine ont aussi exprimé leur «préoccupation» au sujet de l'affaire Drareni.