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Reportage (Hôpitaux publics : 24h dans l'enfer des Urgences)
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 23 - 11 - 2012

«Il s'agit du pire que tu puisses souhaiter à ton ennemi». Cette expression est devenue courante pour évoquer les hôpitaux publics. Malheur à un citoyen pauvre, victime d'une crise soudaine et qui s'adresse au service des Urgences de l'hôpital le plus proche ! Car si son cas est grave et qu'il n'habite pas la métropole, c'est un labyrinthe menant vers l'agonie qui l'attend.
La chute :
Mohammedia, 22h30, l'hôpital Moulay Abdellah reçoit un patient aux Urgences. «Un infarctus du myocarde», relève le médecin de garde quelques minutes après avoir administré au patient les premiers soins, de l'oxygène en l'occurrence. Le cas nécessite l'intervention de cardiologues et pneumologues, qui malheureusement ne sont pas disponibles sur les lieux.
23h30 : Il faut un transfert d'urgence au CHU Ibn Rochd de Casablanca, seul habilité à traiter de tels cas. Démarre alors le compte à rebours d'une vie qui s'essouffle, le canevas banal d'un pauvre citoyen qui a eu le malheur de subir une crise et, inconscient de ce qui l'attend, s'adresse au service des Urgences de l'hôpital public.
Un corps ballotté :
«Une ambulance !». Il faut compter 800 DH pour le trajet nocturne de l'hôpital Moulay Abdellah au CHU Ibn Rochd. «La somme comprend les frais d'oxygénation», justifie l'ambulancier. «D'accord pour 600 DH!», déclare la famille. Casablanca, il est 00h30, le patient arrive enfin à destination. Le médecin de garde exige des analyses : l'échographie du cœur et de l'appareil respiratoire ne sont pas disponibles sur place, le matériel a fait défaut. «Nous travaillons 24h sur 24h, nous ne sommes pas à l'abri d'une telle panne», argumente une blouse banche en tendant une prescription non cachetée qu'il va falloir adresser à la polyclinique CNSS de Derb Ghallef. Non cachetée ? Et pour cause : les médecins résidents sont en grève «de cachet» depuis 3 mois. Cela fait bientôt une année qu'ils n'ont pas reçu leurs salaires. Qu'importe, pour les examens, il faut encore transporter un malade au bord de l'asphyxie. «Ambulance!». Il faut 400 DH supplémentaires pour l'aller/retour. Peu importe la somme qu'il faut à nouveau débourser, c'est la santé du patient qui prime pour la famille.
00h51 : L'escale dure 20 minutes, le temps d'effectuer les analyses nécessaires, le temps pour les membres de la famille qui se transforment en fumeurs inconditionnels de réaliser que la nuit ne fait que commencer. «Il s'agit du troisième cas que nous avons reçu ce soir. Comment est-ce possible que des hôpitaux publics ne disposent même pas du matériel élémentaire, pour que les médecins puissent accomplir leur mission!», s'indigne un médecin aux Urgences de la CNSS. «Et on veut que les médecins du public n'exercent pas dans le privé!», lance-t-il pointant du doigt la récente décision du ministère de la santé.
L'attente :
01h20 : Retour, muni des clichés qui aux yeux des familles sont la clé qui ouvrira l'accès aux soins. Mais il faudra encore patienter. Avant cela, il faut d'abord s'activer, trouver un brancard, une civière, une chaise roulante, qu'importe… il faut porter un corps à la limite de l'agonie. «Seuls les bras serviront», se résigne-t-on en portant plusieurs fois le corps affligé d'une salle à une autre.
01h40 : Aux Urgences, quelques infirmières, un médecin, et une vingtaine de patients sont présents. Parmi ces derniers quelques supporters du Raja victimes d'accrochages à l'issue de la finale de la Coupe du Trône. Une dizaine de patients attendent l'arrivée du cardiologue. On l'appelle, on le rappelle, on le harcèle. Les patients et leurs accompagnateurs s'impatientent. Certains décident de prendre les choses en main et aller eux-mêmes chercher le «cardio»… Ils le croisent «enfin !». Il est 2h, mais il faudra attendre son tour. A 2h30, une infirmière prend l'initiative d'emmener notre patient en réanimation provisoire dans l'attente de la consultation du cardiologue.
03h30 : Le cardiologue vient à la rencontre de la famille : «L'état du malade est stable maintenant. Mais il faudra attendre demain un avis du pneumologue», explique-t-il. «Si vous voulez, vous pouvez partir», entend la famille qui se culpabilise de devoir partir et laisser le patient là, livré à l'inconnu.
Où sont les toilettes ?
Retour le lendemain. Il est 8h du matin. Devant la porte des Urgences, une queue s'entasse. Les habitués, les initiés, les fidèles patients n'hésitent pas à glisser discrètement un billet aux agents de sécurité pour entrer. Au service d'accueil, le nom du patient n'est inscrit dans aucun registre. Un agent ira le chercher à l'intérieur, le prévenir. Le voilà, il se lève à peine, s'essouffle dès qu'il fait deux pas, il a mal, il a soif, il a surtout une envie pressante. «Mais où sont les toilettes ?», un fonctionnaire répond : «Le café en face». Devant l'indignation, il lance en colère: «Regardez mon bureau il ressemble à une salle à eau», précisant «que les toilettes des Urgences sont fermées depuis plusieurs mois»…
L'attente éternelle :
A l'intérieur du service des Urgences, les spécialistes se succèdent, pas forcément ceux qu'attend la famille du malade. Cette attente peut durer plusieurs heures, malgré les relances régulières des familles vers les infirmiers chefs. A chaque fois, on entend la même réponse : «On ne cesse de l'appeler, attendez, il va venir».
Il est midi, la famille du patient se résigne. Le médecin ne vient pas. La famille n'a d'autre choix que d'aller consulter un médecin privé. Mais une question persiste : pourquoi le pneumologue n'est-il pas arrivé ?
Jusqu'au bout :
Il faut chercher la réponse au bloc 25 du CHU spécialisé dans les maladies respiratoires. «Nous ne sommes pas de garde cette semaine», souligne une blouse blanche. «C'est l'Hôpital 20 août qui est de garde», indique-t-elle. «Les infirmiers n'étaient pas au courant ? Pourquoi on ne nous a rien dit ce matin ?», s'interrogent les accompagnateurs. Ces derniers ont décidé de porter plainte au sein de l'hôpital. Encore faut-il avoir accès au médecin chef. S'il n'est pas joignable, il faut voir le surveillant général. «Le plus simple serait d'emmener le malade à l'Hôpital 20 août», nous recommande un infirmier. Un collègue juste à côté propose une ambulance privée. «A croire que ces ambulanciers sont des anges gardiens aux aguets prêts à emmener un corps ou des charognards qui attendent que les cadavres tombent». La famille désespérée doute de tout mais doit aller jusqu'au bout.


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