Depuis mercredi, celui qui se définit comme « un austère qui se marre » est officiellement entré dans la course à l'Elysée. Une ambition qui vient parachever trente années d'un parcours intellectuel et politique complexe. Neuf jours après Jacques Chirac, le socialiste Lionel Jospin a adressé mercredi une lettre aux médias pour annoncer sa candidature à l'élection présidentielle française. Cette nouvelle bataille est l'aboutissement d'une carrière que l'ancien énarque de 64 ans a toujours fondé sur une rigueur souvent critiquée. A ces reproches, Lionel Jospin avait d'ailleurs répondu en décembre 1999 : « je suis un rigide qui évolue, un austère qui se marre, un protestant athée». Il faut dire que le parcours de l'actuel Premier ministre en fait plutôt un faux simple qui aime jouer de ses contradictions, savoir-faire qu'il a hérité de ses origines familiales. Né le 12 juillet 1937 à Meudon (Hauts-de-Seine), Lionel Jospin a grandi dans une famille protestante conduite par un père militant socialiste et défenseur de l'Algérie française, et une mère sage-femme et féministe. Adolescent frondeur, le jeune Jospin, basketteur à la coiffure « afro », suit pourtant un parcours idéal en entrant à Sciences Po, puis à l'ENA en 1963. Il devient ainsi fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères en 1965, d'où il démissionne en mai 1968. Ce que les Français ne découvrent qu'en 2001, c'est que Lionel Jospin a alors une double vie : il est trotskiste. Membre de l'Organisation Communiste Internationaliste (OCI) depuis 1964 sous le pseudonyme de « Michel », professeur d'économie à l'IUT de Sceaux dès 1970 (jusqu'en 1981), il entre au Parti Socialiste en 1971. Homme de confiance de François Mitterrand – qui connaît ses liens avec l'OCI -, il se voit confier plusieurs secrétariats dont celui du secteur international en 1979. Successeur désigné de M. Mitterrand, il rompt peu à peu avec le trotskisme, « un itinéraire personnel, intellectuel et politique dont je n'ai en rien à rougir », déclarera-t-il plus tard. Fin 1980, après avoir été conseiller à Paris (18ème arrondissement, 1977-1983) et député européen en 1984, il se retrouve pourtant face à son mentor. Alors ministre de l'Education (1988-1992), Lionel Jospin s'oppose à la désignation de Laurent Fabius - son actuel ministre de l'économie - comme nouveau premier secrétaire du PS. Affecté par des ennuis de santé et une rupture conjugale, choqué par les affaires qui ternissent le parti socialiste, « l'héritier rebelle » prend même ses distances en 1992. Battu aux législatives de 1993, Lionel Jospin décide de se retirer de la vie politique… Pour revenir en décembre 1994 lorsque Jacques Delors annonce son retrait de la course à la présidentielle de 1995. M. Jospin réussit alors à créer la surprise en perdant de façon honorable (47,3%) au second tour face à Jacques Chirac. Ce denier le nomme d'ailleurs Premier ministre de la cohabitation le 2 juin 1997 après la dissolution du gouvernement Juppé. Cinq ans après son entrée à Matignon, Lionel Jospin affirme s'être « personnellement épanoui ». « Equilibre » - qu'il dit avoir retrouvé en épousant la philosophe Sylviane Agacinski en 1994 - et « synthèse » sont désormais les mots-clés du vocabulaire de cet homme qui doit à présent défendre le bilan de son mandat pour convaincre les Français.