Rachida Benmessaoud, députée de l'USFP et membre de la Commission des Affaires étrangères à la Chambre des représentants, décortique l'action diplomatique marocaine. ALM : Quelle est votre première réaction par rapport à la violation espagnole de l'espace aérien marocain ? Rachida Benmessaoud : Franchement, la dérive espagnole du 5 février portant sur la violation à basse altitude de l'espace aérien marocain suscite la suspicion. En tant que Marocains nous ne pouvons que condamner ces pratiques espagnoles de provocation répétitives, qui constituent une transgression manifeste du droit international et une violation des us et principes de bon voisinage. Pourrait -on comparer cet incident avec celui de l'occupation de l'Ile marocaine Leila? L'occupation de l'Ile marocaine Leila, en juillet 2002, fut une provocation flagrante et directe à l'égard du Maroc, aussi bien de par sa nature que par la date qui lui a été assignée. Les soldats espagnols ont envahi les territoires marocains à un moment qui se caractérisait par la recrudescence de la tension entre Rabat et Madrid. Mais tel n'est pas le cas aujourd'hui, d'où notre surprise; sachant que cet incident survient dans une conjoncture d'apaisement dans les relations entre les deux pays, lesquelles connaissent une évolution relativement positive. Pour ces raisons et d'autres que nous ne connaissons pas encore pour l'instant, nous estimons que ces manœuvres ne prêtent pas à la quiétude. Est-ce que vous ne voyez pas que le Maroc fait trop de concessions à ses voisins ? La position du gouvernement, qui s'est manifestée à travers la convocation de l'ambassadeur espagnol à Rabat par le ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, en vue de présenter des explications sur ce qui s'est produit, constitue un premier pas d'une importance non négligeable. D'un autre côté, elle traduit une sorte de sagesse politique qui s'inscrit dans la perspective des mutations en cours et de la réalité de la région. Néanmoins, et abstraction faite des justifications présentées par l'Espagne, et qui demeurent, à notre sens, non convaincantes, il est de notre devoir, en tant que marocains, d'être vigilants et prudents ; sachant que notre pays a constamment œuvré pour la mise en place d'une politique de bon voisinage, particulièrement vis-à-vis de l'Espagne et de l'Algérie. Mais, à l'égard de l'Algérie, les choses sont plus graves et d'une autre nature. Qu'en dites-vous ? Il faut reconnaître que les rapports avec l'Algérie ont constamment été caractérisés par la tension ; notamment en raison de la question du Sahara marocain et d'autres problèmes qui relèvent du passé et qui n'ont jamais été abordés de manière claire et franche. Ceci étant, la force du Maroc consiste dans la légitimité historique sur laquelle il se base dans ses différentes initiatives pour le règlement de ce problème. La thèse marocaine officielle consiste à chercher une solution dans le cadre d'un dialogue politique consensuel avec l'Algérie. Une solution qui nous permettra également de nous consacrer à l'édification de l'Union du Maghreb arabe et de faire de cette entité une force économique, sociale et politique à même de relever les défis qui s'imposent. Récemment, l'USFP a présenté une approche qui consiste dans l'exploitation en commun des richesses de la région maghrébine, y compris des régions sahariennes. Quels sont les soubassements réels de cette approche? D'abord, il y a lieu de rappeler qu'il n'y a aucune contradiction entre cette thèse et celle que nous défendons officiellement. Le Maroc est indivisible. Mais, pour surmonter l'état de blocage qui prévaut aujourd'hui, nous avons estimé opportun d'inclure, dans le cadre des négociations avec l'Algérie et de réfléchir la possibilité de l'exploitation en commun de toutes les potentialités et richesses de la région maghrébine. C'est donc une autre manière de concevoir le dialogue avec nos frères algériens. Est-ce que vous ne voyez pas qu'il s'agit là d'une alternative à l'action diplomatique officielle? En tant que force nationale de proposition, nous n'avons jamais cessé de réfléchir sur les modalités d'amélioration de l'action diplomatique de notre pays. D'où nos appels de renforcer la diplomatie parallèle. Mais, là encore, il faut reconnaître qu'il ne s'agit nullement d'un changement de stratégie. En fait, ce sont les mécanismes de fonctionnement qui font l'objet de discussions. En toute franchise, on peut souligner qu'à aucun moment nous n'avions senti qu'il y a une volonté de monopole de la part des responsables des ministères chargés de ce dossier, ou de marginalisation des forces politiques. La position du Maroc est claire à ce sujet et fait partie d'une stratégie globale qui lie de manière organique entre la politique intérieure et l'action diplomatique. Autant nous cherchons la réconciliation entre les différentes parties du champ politique, autant nous préconisons l'ouverture et la tolérance sur le plan diplomatique. C'est ce qui explique notre rejet de la répression et de la violence à l'intérieur du pays et de l'usage de la force dans le règlement des conflits internationaux.