Abdeslam Aboudrar s'attaque à de nouveaux foyers de la corruption. Dans cet entretien, le président de l'ICPC dévoile que son département entend présenter au nouveau gouvernement une version actualisée du plan d'action de première urgence. Le Réseau arabe de lutte contre la corruption vient de vous nommer à sa présidence, à l'issue de son 3ème congrès tenu récemment à Fès. Quelle signification donner à cet événement ? Abdeslam Aboudrar : C'est d'abord une reconnaissance du dynamisme au Maroc en matières de réformes en général et de lutte contre la corruption en particulier. Ensuite, s'agissant d'un congrès tenu sous le thème de la participation de la société, le Maroc occupe une place de choix quant à la présence et l'activisme de la société civile. Enfin, le Maroc a beaucoup milité dans la région en faveur d'une mise en œuvre active de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC). Quel bilan faites-vous de votre action passée? Quelles sont, d'après vous, vos plus grandes réalisations ? L'ICPC a travaillé jusque-là dans un cadre étriqué: statut consultatif limité à la prévention, indépendance fonctionnelle contrainte par des ressources humaines et financières bien en deçà des besoins. Cela ne l'a pas empêchée de remplir pleinement son mandat. C'est ainsi qu'elle a établi un diagnostic de l'étendue du phénomène, s'est livrée à une évaluation rigoureuse du cadre législatif et institutionnel et a proposé au gouvernement 8 orientations stratégiques, 25 objectifs déclinés en 113 mesures dont certaines ont déjà été suivies d'effet. Avec le secteur privé et les administrations concernées, l'ICPC a lancé l'Observatoire de la douane et le portail www.stopcorruption.ma destinés à protéger les PME contre l'extorsion et les sollicitations de corruption… de même qu'elle a fait des propositions en matière de réformes majeures: la réforme de la justice, le projet de décret relatif aux marchés publics, le projet de régionalisation avancée, le dialogue national sur l'information, la lut-te contre la corruption politique et électorale au Maroc. L'ICPC a enfin entamé le chantier des plans d'actions sectoriels en partenariat avec les ministères et les professionnels concernés: santé, transport, habitat, éducation… A l'ICPC, quels sont vos projets pour l'année prochaine et où se situent vos priorités ? Pour l'année 2012, nous entendons présenter au nouveau gouvernement une version actualisée du plan d'action de première urgence que nous avons déjà soumis au gouvernement précédent en réponse aux revendications consécutives au printemps arabe. Nous ferons des propositions sur trois axes majeurs: - Le droit d'accès à l'information; - La gestion des conflits d'intérêts; - La révision des textes sur la déclaration du patrimoine. Nous lancerons de nouveaux plans d'action sectoriels dans l'habitat et l'éducation. Enfin, nous nous doterons des structures et ressources nécessaires pour remplir nos nouvelles missions en matière d'investigation et d'auto-saisine dans le cadre de la nouvelle version de notre institution introduite par la nouvelle Constitution : l'Instance pour l'intégrité, la prévention et la lutte contre la corruption. Certains reprochent à l'ICPC d'outre-passer ses prérogatives, voire de travailler hors cadre légal puisqu'ils pensent que les textes qui l'ont créée ont été abrogés de facto par sa constitutionnalisation, que répondez-vous à ces critiques ? Je suis frappé que beaucoup semblent ignorer la notion de continuité de l'Etat. L'ICPC ne cessera ses activités en tant que telle que lorsque le Parlement adoptera le texte de loi de création et d'organisation de l'Instance nationale de l'intégrité, la prévention et la lutte contre la corruption prévue par la Constitution. L'ICPC coopère-t-elle avec les autres instances de moralisation de la vie publique ou considère-t-elle que dans le contexte actuel il est plus rentable de faire cavalier seul ? L'ICPC ne peut agir qu'en coopérant avec d'autres institutions concernées par la moralisation de la vie publique et au-delà avec le secteur privé, la société civile, les médias, l'université, les organismes internationaux, etc. Cela dit, notre premier rapport (2009) n'a pas manqué de pointer du doigt l'absence de mécanismes de coopération organisée entre les différentes institutions dédiées à la bonne gouvernance et qui sont, pour la plupart, de création relativement récente. Nous avons d'ailleurs entamé tout dernièrement un processus de concertation pour pallier ce manque. Quant au manque d'empressement de certains partenaires que vous relevez, je crois qu'il ne peut plus être de mise dans les circonstances présentes: revendications citoyennes vigoureuses, train de réformes consécutives à la nouvelle Constitution, nouvelle configuration du champ politique en même temps que resserrement des marges de manœuvre sur le plan économique. Plus qu'une priorité, la lutte contre la corruption devient une urgence.