Dernièrement, l'histoire de ce chanteur de «chaabi» (chansons populaires) à qui on aurait demandé dix-mille dirhams pour passer dans une émission, a fait beaucoup de bruit. Pas parce qu'on a demandé à un artiste de corrompre un animateur, mais parce que cet artiste aurait refusé! Je ne sais pas si ces histoires sont vraies ou non, mais il n'y a pas de fumée sans feu! De toute façon, quand on est artiste au Maroc, on sait que cela existe. Les artistes chez nous ne cachent même pas le fait de donner de l'argent contre une bonne publicité déguisée sous une forme ou une autre. Certains se plaignent ouvertement des sommes élevées qu'ils doivent payer pour certaines faveurs. Ce n'est pas la corruption qui les gêne, mais seulement le montant élevé. Chez-nous rien n'est sacré, même pas l'art! Des milliers de chaînes de télévision par satellite montrent aux Marocains de beaux produits qu'ils ne peuvent pas acheter. Alors tous les moyens sont bons pour assouvir ce besoin de posséder des bidules, de collectionner des vêtements signés, et de jalouser les stars hollywoodiennes. La corruption ne choque plus personne, y compris les gens très pieux qui prient plus de cinq fois par jour. Beaucoup de ces derniers dissocient facilement, dans une incroyable schizophrénie, l'acte de corrompre quelqu'un de leur comportement religieux quotidien. Dans les pays comme le nôtre, la corruption permet de gros profits avec très peu de risques. D'où la tentation. Le comportement opportuniste est de plus en plus répandu et accepté. C'est le résultat du manque de transparence et de l'impunité des corrompus. La corruption se nourrit de l'opacité du système. Elle est peut-être le symptôme de la maladie de la centralisation à outrance. Il y a près de vingt-six siècles, le Tao Tö King, ouvrage du Taoïsme, soulignait déjà les méfaits de la centralisation : «Gérer un large territoire est comme cuire de petits poissons : moins on y touche mieux c'est.» Si pour certains, la corruption n'est jamais une option, d'autres y sont forcés. On ne peut pas réellement blâmer le citoyen moyen qui donne un peu d'argent pour éviter que ses activités ne soient freinées. N'est-il pas plus pertinent de se demander pourquoi certains ont la possibilité de freiner des processus sans être punis? La vraie corruption c'est d'essayer d'accélérer un processus qui se passe normalement. Ce fléau, omniprésent dans la communauté artistique marocaine, est installé sur des articulations bien huilées. Les proportions épidémiques qu'il a acquises depuis quelques années sont répugnantes. Aujourd'hui, les corrompus comptent leurs billets souillés devant tout le monde. L'artiste marocain ne devrait plus se contenter de condamner la «société», car la société c'est aussi lui! Si les gens ordinaires ne sont pas toujours critiquables, l'artiste, lui, est responsable de ses actes. S'il n'a pas une profonde conviction, la transformation ne se fera jamais. Un artiste, fier et honnête, est déjà un bon début.