L'attitude du Souverain marocain, à l'endroit du mouvement populaire qui a mis des centaines de milliers de manifestants marocains dans la rue, a vite été très mal ressentie par les régimes libyen et algérien. Il ne faut pas douter que l'attentat qui vient d'être perpétré à Marrakech procède d'un objectif précis, qu'il répond à une vaste entreprise de déstabilisation, et qu'il se situe très précisément dans une logique de réaction aux aspirations des peuples de la région à chasser les régimes qui les oppriment, ou à contraindre les plus supportables parmi eux à se démocratiser davantage. Cet attentat relève d'une stratégie éprouvée par le DRS algérien, pendant la décennie sanglante des années 90, en Algérie. Elle a pour nom «Terrorisme pédagogique». En l'absence de preuves concrètes, faut-il s'interdire toute lecture ? Comment, donc, appréhender cet attentat ? Comment évoquer les lourdes présomptions qui pèsent sur ses concepteurs supposés, sans subir les foudres des «analystes organiques», qui veillent au grain, et qui volent dans les plumes de quiconque évoque seulement, serait-ce par allusion, les pratiques subversives de leurs employeurs objectifs, même si non déclarés. Je préviens d'emblée de cela, et de la lapidation qui ne va pas manquer de s'abattre sur moi, parce que cela est devenu une sorte d'automatisme. A chaque fois que je désigne les milieux qui manipulent ce genre de situation, des «intellectuels» de service me tombent dessus, m'accusant systématiquement de délire paranoïaque, et surtout de ne pas produire de preuves qui étaieraient ce que j'avance, comme si les auteurs de ce genre de complots laissaient leurs cartes de visite sur les lieux de leurs crimes. Cela a été le cas, par exemple, de l'assassinat des moines de Tibhirine. On sait comment ont été traités ceux qui ont eu l'audace d'évoquer le rôle des services algériens dans cette sombre affaire. Tout récemment, j'avais commis un article dans lequel je tentais de démontrer l'implication du régime algérien aux côtés de Kadhafi, et les causes profondes de cet engagement contre la Révolution libyenne. Dans le même texte, j'ai évoqué la connivence des Israéliens, avec le régime algérien, dans cette même dynamique chafouine et complexe à souhait. Cela m'a valu d'être traîné dans la fange par plusieurs de ces messieurs. Certains ont pris le soin de citer quelques phrases de mon article, en les sortant de leur contexte global, et qui, tout en faisant mine d'être hostile au régime d'Alger, l'ont défendu par touches subliminales, en procédant par amalgames. Ainsi, les forces de l'OTAN ne pouvant être créditées que des plus mauvaises intentions, elles ne rechercheraient pas d'autre objectif réel, en Libye, que de faire main basse sur ce pays, sur ses richesses, et que par conséquent, très finement suggéré, quiconque les contrecarrerait, et aiderait Kadhafi à leur résister, ne pourrait être que du côté des bons contre les méchants. CQFD. Et, dans la même logique, quiconque dirait le contraire, comme moi, par exemple, ne pourrait être, au mieux, qu'un agent de l'impérialisme occidental. Le peuple libyen, dans tout ce fatras outré, a été passé à la trappe. Comme s'il n'était qu'une vague notion abstraite, et non pas des populations civiles bombardées à l'artillerie lourde, parmi lesquelles plus de 10.000 morts ont été dénombrés.
Un attentat lié aux révolutions arabes… Mais revenons à l'attentat de Marrakech ! Cette digression était nécessaire, pour prévenir sur la nature des cris d'indignation qui ne manqueront pas de répondre à ce que je vais tenter de développer. Ainsi, et alors que rien ne pouvait expliquer un regain de violence islamiste au Maroc, particulièrement en ce moment où les mouvements salafistes dans ce pays semblent jouir d'une plus grande tolérance, voire même d'une vraie visibilité, et qu'ils sont même autorisés à manifester dans la rue, voilà qu'un attentat spectaculaire et sanglant est perpétré dans la ville marocaine la plus médiatisée et la plus fréquentée par des touristes occidentaux. On ne pouvait obtenir un meilleur impact. Et si nous nous tentions de comprendre le raisonnement des islamistes djihadistes, il faudrait qu'ils soient complètement idiots pour commettre un attentat de cette nature, à un moment où cela ne peut leur être que contre-productif. Cet attentat va entraîner pour eux des conséquences très graves, même s'ils n'ont rien à y voir. Presque simultanément, les autorités algériennes, qui participent à relayer ce tragique évènement, et à en amplifier la portée, annoncent qu'elles prendront, dans l'immédiat, toutes mesures pour sécuriser leurs frontières. Leurs frontières avec le Maroc, bien entendu, sachant que celles-ci sont fermées depuis plusieurs années, hormis pour les trafics en tout genre, dont celui du kif et de la cocaïne en provenance des côtes mauritaniennes. Je reviendrais sur ce point, qui a son importance dans le sujet qui nous intéresse. En réalité, cet attentat procède de deux logiques, qui ont une interaction réciproque. La première relève de la même stratégie qui a consisté, pour le régime algérien, à prêter main forte à Kadhafi, en lui faisant parvenir armes, munitions équipements, carburants et mercenaires. Le fait semble définitivement confirmé, malgré les dénégations officielles de l'Algérie. Le Polisario, ou du moins une aile de celui-ci, celle que j'évoquerai lorsque je reviendrais sur le sujet du kif et de la cocaïne, a joué, dans cette aide du régime algérien à Kadhafi, un rôle très important, entre autres celui du recrutement de mercenaires, et l'acheminement d'armes et de munitions livrées par le régime algérien. Cette stratégie consistait donc à contrecarrer la révolution du peuple libyen, parce que la chute du régime libyen aurait été fatale pour son homologue algérien. Il fallait tout entreprendre pour, au moins, retarder l'inéluctable chute du colonel libyen. Le régime algérien y a mis tout son poids, d'abord diplomatique, en tentant d'agir au niveau de la Ligue arabe, de l'ONU et du Conseil de sécurité. Un lobbying remarqué. Puis, lorsque la résolution 1973 du Conseil de sécurité a été votée, et que les frappes occidentales ont commencé à détruire les infrastructures militaires des Kadhafi, le régime algérien a mis le paquet pour voler au secours du colonel. C'est grâce à l'Algérie, mais aussi à une aide précieuse d'Israël, sur un plan d'expertise, de renseignement, de circulation de fonds secrets appartenant à la famille Kadhafi, que le dictateur a pu tenir aussi longtemps, et avec autant de ténacité, contre les frappes des alliés, puis de l'OTAN. Les révolutionnaires libyens sont-ils vraiment sous le contrôle d' AQMI? L'autre aide, et non des moindres, que le régime algérien a apportée aux Kadhafi, a consisté à exagérer, auprès des opinions publiques internationales, la présence d'islamistes parmi les révolutionnaires libyens. Des rapports très consistants, contenant des vidéos notamment, ont été remis par le DRS algérien aux services secrets occidentaux, pour les alerter sur la mainmise d'AQMI sur la révolution libyenne. Ainsi, le fait que les révolutionnaires libyens criaient «Allahou Akbar» lorsqu'ils accrochaient les troupes de Kadhafi, a été présenté comme une preuve que les salafistes avaient pris le contrôle de l'insurrection. Le régime algérien a oublié de préciser que durant la révolution algérienne, les révolutionnaires algériens étaient désignés sous le vocable de Moudjahidines, qu'ils montaient au front avec un cri de guerre qui était «Allahou Akbar» et que ceux qui tombaient avaient le titre de chouhadas. Cela n'a pas fait, pour autant, de la révolution algérienne, un djihad islamique. Dans les rapports du DRS, parmi les nombreux «arguments» qui tentaient d'étayer la prédominance islamiste dans la révolution libyenne, il a été également signalé qu'Al Karadhaoui a lancé une fatwa de mort contre Kadhafi, que plusieurs prédicateurs libyens, connus des services occidentaux, passaient tous les jours sur Al Jazeera, et que tout un arsenal avait été récupéré par l'AQMI, auprès des insurgés libyens, pour être acheminé vers le Sahel, le talon d'Achille d'une certaine politique américaine. Ce sont ces informations alarmistes, savamment relayées par la presse américaine, qui ont retardé, puis bloqué, un plan d'armement des insurgés libyens par les Occidentaux. Rappelons que l'AQMI est issue du GSPC, qui fut créé lorsque certains émirs avaient découvert que leurs groupes étaient contrôlés par des émirs du DRS. Mais il ne tarda pas lui-même à être infiltré, puis totalement mis sous contrôle, avant d'être poussé à devenir Al Qaïda au Maghreb Islamique, et à se faire adouber par le numéro deux d'Al Qaïda lui-même. Une grosse victoire pour le DRS, qui avait réussi ce coup de maître.
La sombre intimité de réseaux hétéroclites… Mais avant cela, le GSPC, en plus de servir aux stratégies du DRS, avait servi à de très gros trafics. Entre autres celui des cigarettes de contrebande, du kif, de la cocaïne, et de la très grosse contrebande qui usait des fonds publics par le biais des fausses domiciliations bancaires. A la tête de ces trafics se trouvaient plusieurs généraux de l'armée algérienne, dont le plus important était un général-major du DRS, qui usait des services de plusieurs émirs vedettes du GSPC, comme Abderazak le para, entre autres. Celui qui avait enlevé les touristes allemands et autrichiens. Le kif arrivait donc du Maroc, et traversait les frontières théoriquement fermées, pour être acheminé vers des destinations européennes, via tous les ports algériens, particulièrement les ports de pêche. Les mêmes réseaux collaboraient avec un autre, constitué de responsables du Polisario et de chefs coutumiers (reguibates et touaregs, entre autres). Celui-ci ramenait des quantités très importantes de cocaïne, qui leur étaient livrées par des «pêcheurs» sud-américains, au large des côtes mauritaniennes. La cocaïne suivait la même filière que celle du kif, et était acheminée vers l'Europe via les ports algériens. Mais cette fructueuse collaboration allait être compromise après l'affaire «Zendjabil». Le rôle du général-major qui chapeautait tout l'édifice fut dévoilé. Le régime algérien géra au mieux l'affaire, et malgré les règlements de comptes entre barons, il a réussi à étouffer l'affaire sans trop de dégâts pour ses membres. Nous croyons savoir que les Américains ont gentiment signalé à l'Etat algérien que ce scandale était devenu par trop gênant, et que l'infiltration et le contrôle de l'AQMI ne nécessitaient pas autant de compromission. Le DRS, un excellent sous-traitant de certains services américains, a pu sauver la mise, sans y perdre des plumes. Ledit général-major a été invité à faire valoir ses droits à la retraite. Une logique du régime algérien: La théorie des dominos n'aura pas lieu… Je suis revenu sur cet aspect de la coopération triangulaire entre le DRS, l'AQMI, des barons du trafic en tout genre, et de certains responsables du Polisario, pour en arriver à la deuxième logique, que j'avais évoquée précédemment. C'est celle qui consiste, pour le régime algérien, à acculer le voisin marocain à une extrémité qui le contiendrait dans une position de faiblesse. L'attitude du Souverain marocain, à l'endroit du mouvement populaire qui a mis des centaines de milliers de manifestants marocains dans la rue, a vite été très mal ressentie par les régimes libyen et algérien. Il est vrai que la réponse du Roi Mohammed VI aux revendications de son peuple restent en deçà des attentes, mais elles ont été perçues comme une véritable provocation, un geste inamical, par les autres régimes de la région qui n'avaient pas encore été affectés par la déferlante des peuples. Le régime algérien, plus particulièrement, a très mal pris le fait que les manifestations au Maroc aient été autorisées, qu'elles se soient déroulées dans le calme, sans la moindre répression, et que le Roi ait fait des ouvertures relativement audacieuses. Il faut savoir que la vision du régime algérien, pour ce qui concerne la région du Maghreb, repose sur un postulat très simple. Tous les voisins doivent être, et rester, foncièrement corrompus, despotiques et répressifs. Les Institutions ne doivent en aucun cas représenter autre chose que de pures façades démocratiques, et ne doivent pas, devenir réellement représentatives. Idem pour la presse, et tous les mécanismes institutionnels de la société civile. C'est ce qui explique les liens très intimes entre le régime algérien et tunisien, par exemple. Tous les opposants tunisiens étaient «persona non grata» en Algérie. Ils étaient refoulés dès qu'ils débarquaient dans un aéroport algérien, et l'inverse était tout aussi bien observé. J'en sais personnellement quelque chose, puisque j'ai été refoulé de Tunisie, en 2004, sans avoir pu sortir de l'aéroport de Tunis. Sans qu'une quelconque raison m'ait été donnée. Par contre, le régime algérien avait toujours vu d'un très mauvais œil les ouvertures démocratiques du Maroc. Aussi timorées fussent-elles !