Ils sont deux voyous demeurant dans un bidonville de la capitale économique. Quand ils ont agressé un innocent, l'un d'eux a préféré garder une partie du butin. Et c'était la discorde, puis le meurtre. «Mohamed était plus qu'un ami. Il était comme mon frère». Par ces deux phrases, Abdellah a commencé ses réponses devant les juges de la chambre criminelle près la Cour d'appel de Casablanca. Seulement, le président de la Cour a répliqué en lui demandant : «De quelle fraternité parles-tu? ». Abdellah le fixe avec ses deux mirettes sans dire mot. Il a gardé le silence pour quelques secondes. Et il a ajouté : «Je n'avais pas l'intention de le tuer, M. le président». C'était une phrase que répète la majorité des mis en cause impliqués dans des affaires de meurtres, comme s'ils l'apprennent par cœur lors de leur détention préventive auprès d'autres détenus avec lesquels ils partagent la même cellule. Abdellah est à son vingt-huitième printemps. Il a vu le jour dans une famille modeste occupant une baraque au douar Bouih, un bidonville situé au quartier Aïn Sebaâ dans la direction de Rabat. Son père, chiffonnier de son état, n'arrivait que difficilement à joindre les deux bouts de la journée et non pas de la semaine ou du mois. Il n'a pas mis au monde uniquement Abdellah, mais également quatre autres garçons et trois filles. Si celles-ci sont toutes mariées, les garçons n'étaient que des repris de justice. À titre d'exemple, Abdellah, qui comparaissait ce jour de la dernière semaine du mois de mars en état d'arrestation devant la Cour, a déjà purgé une première peine d'emprisonnement de trois mois fermes pour complicité de vol simple et consommation de drogue, puis une deuxième qui lui a coûté une peine d'un an de prison ferme pour tentative de viol. «Il était un drogué, un ivrogne et très agressif», a murmuré un quinquagénaire qui occupait un siège parmi l'assistance. Il semble qu'il était l'un des habitants du douar qui venait soutenir le père d'Abdellah. D'autres habitants du douar, qui sont venus assister à l'examen de l'affaire du meurtre commis par Abdellah, ont attesté qu'il était «une personne à éviter», qui n'hésitait pas à utiliser le couteau qu'il portait toujours pour se défendre et même pour agresser. Son protagoniste, Mohamed, qui a rendu l'âme suite à ses blessures, avait presque le même parcours que son meurtrier, Abdellah. Après avoir quitté les bancs de l'école au primaire, la mauvaise fréquentation l'a jeté dans la gueule du loup. Facilement, il est devenu accro à la drogue au point qu'il s'est retrouvé obligé de chercher de quoi l'acheter. La solution n'était que la violence contre des innocents pour leur subtiliser tout ce qu'ils portent sur eux. En conséquence, Mohamed avait purgé quatre peines d'emprisonnement avant sa mort, tous pour vol simple, vol qualifié, coups et blessures, menace à l'arme blanche, consommation de drogue et ivresse. Mais, pourquoi a-t-il été tué par son ami, Abdellah ? «Nous avons agressé un jeune homme qui était à bord de son vélomoteur. Nous lui avons subtilisé une somme de mille dirhams, un téléphone portable et une bague en or», a répondu Abdellah aux questions du président de la Cour. De coutume, ils partageaient les sommes d'argent et vendaient les objets subtilisés pour que chacun empoche sa part du butin. Seulement, cette fois-ci, Mohamed a préféré garder la bague en or. Abdellah a refusé, demandant à Mohamed de la vendre et de partager, comme à l'accoutumée, le profit. Mohamed a tranché sur l'idée de garder la bague en or. Hors de lui, Abdellah a brandi son couteau. «Je n'avais l'intention que de le menacer, M. le président», a précisé Abdellah. Mais la menace a cédé la place à un coup fatal. Mohamed a rendu l'âme et Abdellah a été condamné à dix ans de réclusion criminelle pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner.