De magnifiques tapis sont exposés jusqu'au 14 février au centre Yacoub El Mansour de la fondation Orient-Occident à Rabat. Ils ont été exécutés par d'anciens lépreux. Leur aventure a commencé par des exercices thérapeutiques et a mué en savoir-faire, internationalement reconnu. Quelle patience il a fallu pour aboutir ces tapis ! Au début, le visiteur a du mal à croire que les pièces ont été tissées à l'aiguille. Il lui est difficile de se représenter une personne mettant autant d'habileté et de temps dans un ouvrage quasi anonyme. Les tapis ne sont pas signés. Leurs motifs ne présentent pas un caractère innovant. Ils n'attestent pas une intervention, genre de celles dont se prévalent les artistes. Les scènes tissées sont empruntées à des œuvres qui existent. Elles se prêtent à la narration. Et celle qui supervise la manifestation, possède le don de raconter chaque ouvrage. Elisabeth Désveaux choisit les scènes dans des livres, des manuscrits, des estampes, avant de les recréer en vue de leur adaptation à une nouvelle forme. Elle déplore l'absence d'ouvrages figuratifs relatifs à l'Histoire du Maroc. L'un des rares dessins qu'elle a déniché à ce sujet, représente le Sultan Ahmed El Mansour sur un cheval blanc. Elisabeth Désveaux connaît par cœur l'histoire de ce grand Sultan. Elle place l'ouvrage dans son contexte, avant de préciser que l'œuvre originale existe, parce qu'elle a été réalisée par un Chrétien qui était dans l'entourage du Sultan. Elle abonde en commentaires sur d'autres tapis. L'un d'eux représente un concert à Fès, adapté d'une œuvre datant du 15e siècle. Le musicien est parfaitement représenté. Les six personnages qui l'écoutent aussi. Les détails du décor sont impeccablement exécutés. Deux arbres avec un feuillage vert et deux tours latérales accroissent la densité de l'ensemble. Que ce soit du point de vue de la forme ou du coloris, ce tapis est impressionnant. Mais ce c'est qu'une copie, et le temps mis dans sa réalisation semble démesuré par rapport à ses fins qui ne sont pas artistiquement proclamées. Combien de temps ? “Il faut entre six mois et deux ans pour mettre la dernière touche à un tapis“, explique Elisabeth Désveaux. Le temps se relativise, lorsqu'elle informe sur l'identité des personnes qui les réalisent. Ce sont d'anciens lépreux qui tissent ces ouvrages. Leur aventure avec la tapisserie a commencé, il y a trente ans. Les lépreux guéris gardaient des contractions au niveau des doigts. “Comme ils ne pouvaient pas s'offrir les services d'un kinésithérapeute, il a fallu réfléchir à un palliatif“. Elisabeth Désveaux, qui assistait le dermatologue René Rollier, a pensé à la broderie pour délier les doigts des anciens malades. Au début, l'atelier de la tapisserie à l'hôpital Aïn Chock avait des fins purement thérapeutiques. Il visait la rééducation des doigts des malades. D'ailleurs, ils ont commencé par tisser de petits ouvrages: des sacs, des ceintures… avant que les progrès accomplis ne permettent de réfléchir à des tissages plus complexes. C'est l'aventure de la tapisserie. Cette activité se déroule dans le cadre de l'Association marocaine d'application agricole et de formation (AMAAF). La réalisation d'un tissage commence par le dessin de motifs sur un calque, appliqué sur le canevas d'une toile. Cette opération est exécutée par Elisabeth Désveaux. Le dessin comprend des mentions très précises sur la couleur. Les anciens malades interviennent ensuite pour tisser les motifs. Les plus exercés d'entre eux n'ont plus besoin d'être dirigés pour travailler. Ils emportent l'ouvrage à leur domicile. Le tissage leur a donné un travail rémunéré. Nombre d'entre eux ont pu bénéficier de crédits de l'AMAAF pour devenir propriétaires d'une maison. Les tapis exposés à la fondation Orient-Occident coûtent entre 22 000 et 50 000 DH. Les principaux revenus des personnes qui les réalisent ne proviennent pas toutefois de la tapisserie, mais de tissages pour des fauteuils d'époque. Les demeures historiques en France font souvent appel à eux. Qui aurait pu deviner qu'un exercice d'ergothérapie allait se transformer en savoir-faire, internationalement reconnu ?