Il me semble que l'esprit «bourgeois» marocain accepte sans discrimination les influences culturelles européennes, parfois même les plus douteuses ou les plus monstrueuses d'entre elles, et n'accepte que rarement l'art qui met en jeu le signe amazigh ou la lettre arabe. Ces arts sont cependant bien accueillis par les intuitifs et certains de ceux qui ont obtenu de bonnes formations académiques. L'incompatibilité de la profonde compréhension d'une culture et l'arrogance intellectuelle font que cet esprit bourgeois reste souvent insensible à son environnement culturel. En d'autres mots, et sans vouloir généraliser, je dirais que l'esprit bourgeois marocain, ayant subi une formation majoritairement européenne, rejette parfois violemment l'art émanant de sa propre culture. Traditionnellement, les signes et symboles amazighs se retrouvent dans la poterie, le textile, le cuir, les décorations murales des maisons, les tapis, le bois gravé, la bijouterie, les tatouages et même dans les amulettes. Un peu rejeté ou simplement négligé durant le protectorat, cet art du signe dont les propriétés mystiques et les qualités esthétiques sont de plus en plus notoires est aujourd'hui de nouveau reconnu et analysé par les chercheurs. Sa magnifique esthétique transcende les écarts dans le temps et l'espace, ainsi que les différences dans les cultures, les croyances et les langues. La lettre arabe calligraphiée, quant à elle, a été introduite au Maroc par les Arabes il y a près de treize siècles. Au début de l'ère islamique, l'art figuratif était mal vu par crainte que les gens se mettent à adorer des personnages créés par des artistes. Cela a conduit à la calligraphie et à la représentation abstraite qui sont progressivement devenues des formes majeures d'expression artistique dans le monde arabo-islamique. Dans ce monde, la calligraphie est devenue un art hautement respecté. Le style coufique, habituellement utilisé pour copier le Coran, reste le plus répandu. Symbole d'unité, de beauté et de puissance, et grâce à ses couleurs brillantes et son superbe équilibre entre design et forme, la calligraphie est probablement la plus importante forme de créativité et d'expression visuelle de l'art arabo-islamique actuellement. Dans certaines œuvres islamiques récentes, l'écriture est stylisée et sophistiquée au point que l'élégance prend le pas sur la lisibilité. L'art marocain se distingue par une qualité mystique de ses signes qui trouvent leur origine dans les motifs amazighs des temps préislamiques, ainsi que de ses lettres calligraphiées d'origine arabe. Des études modernes sur un chromosome masculin qui se transmet de père en fils, tendent à prouver que les Nord-Africains actuels, arabophones et berbérophones, ainsi que 10 à 40 % des populations du Sud de l'Europe, descendent des berbères. Les Marocains sont donc un peuple génétiquement arabo-berbère, et la combinaison du signe amazigh et de la lettre arabe est probablement l'art le plus authentiquement marocain.