Soixante et onze ans après sa création, le personnage de fiction Batman continue de faire rêver des millions d'enfants et de jeunes à travers le monde. Musclé et masqué, vêtu de noir et de gris, arborant à la hauteur des pectoraux l'emblème d'une chauve-souris noire dessinée dans un cercle ovale jaune, il fait partie (avec Zorro, Superman, ou encore Spider-man) des super-héros justiciers que l'Amérique a le souci de produire et de faire vivre dans les imaginaires des peuples. Chevaliers des temps modernes, défenseurs de LA civilisation (celle forgée aux Etats-Unis, bien entendu), ceux-ci participent à entretenir le mythe d'une Amérique qui a pour mission de protéger et de sauver le monde. Depuis sa création, Batman a subi des transformations dans ses apparences; son histoire a connu des rebondissements. Mais il reste un pourfendeur intraitable du crime qui gangrène la vie des grandes cités. Orphelin dont les parents ont été assassinés, il suit un entraînement intensif dans tous les domaines, physiques et intellectuels. L'image de celui qui s'en sort en ne craignant pas de s'imposer une rude discipline. Or voilà que Batman, l'homme-chauve-souris, vient de s'inviter dans les débats sur la place nouvelle que tient l'Islam dans le monde! Menant désormais son combat aux quatre coins de la planète, il s'est adjoint de nouveaux collaborateurs appelés à combattre à ses côtés. Parmi ceux-ci: Bilal Asselah, 22 ans, un Français d'origine algérienne, musulman sunnite. Habitant de la ville de Clichy-sous-bois, il était encore adolescent lors des émeutes qui ont embrasé les banlieues françaises en 2005. A l'époque, il aurait été soupçonné injustement d'avoir participé aux actes de violence. Sa mère, pieuse musulmane, l'aurait convaincu de laisser tomber ses envies de vengeance. Par la grâce de Batman, le voilà donc devenu «Nightrunner», «Celui qui court dans la nuit», en charge de veiller à la paix sociale en France. Cette embauche d'un justicier musulman pour protéger la France a soulevé les protestations de nombreux admirateurs américains de Batman. Un blogueur interroge : «Batman n'a pas pu trouver un vrai Français pour être le sauveur français?». Ainsi, à l'image de nombreux Français, une partie du peuple américain estime que les musulmans ne peuvent être considérés comme «de vrais Français»! Mais le choix des concepteurs de Batman témoigne, à l'inverse, que pour une autre partie de l'Amérique (en particulier au sein de ses instances dirigeants actuelles), la jeunesse d'origine maghrébine en France constitue une richesse pour l'avenir qu'on ne saurait négliger plus longtemps. Depuis quelques années, d'ailleurs, on observe que les représentants de l'Amérique en France ont le souci d'identifier des élites, des «têtes de réseau», issues des «minorités visibles» et de la «communauté» musulmane. Une tentative pour redorer, à travers le monde musulman, l'image des Etats-Unis cruellement abimée par huit années de présidence de George W.Bush, huit années de «croisade» contre l'Islam grandement associé aux forces des ténèbres? En tout cas, l'intégration, l'acceptation des «autres» passe toujours par l'évolution des imaginaires.