Dans nombre de pays d'Europe et même d'Afrique, le notaire est le passage obligé pour tout acte de transfert de propriété. Mohamed Hilal, le notaire casablancais qui a grugé nombre de ses clients, a été condamné récemment par la justice à indemniser ses victimes. En cavale depuis plus d'un an, il a réussi à prendre la fuite à l'étranger. L'image de la profession s'en est trouvée forcément éclaboussée. Une mauvaise publicité pour une profession qui cherche à se réorganiser en se dotant d'un statut à la hauteur de ses ambitions et de son utilité publique. Sans résultat jusqu'ici. Que de propositions de réforme concoctées depuis des décennies. Mais aucune n'a abouti. Elles sommeillent toutes dans les tiroirs du secrétariat général du gouvernement. Le notariat ainsi délaissé s'est vu, au fil des ans, dépourvu de ses prérogatives. Soumise à un effeuillage progressif mais déterminé, régie encore par une loi de 1925 datant du protectorat, elle est devenue la seule profession libérale qui ne possède aucun monopole. Le nouveau code sur la société anonyme (loi 17-95) a fini par enlever au notaire le seul domaine d'exclusivité qu'il avait, à savoir la DSV (Déclaration de souscription et de versement), à l'occasion de laquelle il vérifiait à titre préventif la conformité des actes constitutifs. Autre exclusivité qui lui a été retirée, cette fois par le nouveau code de commerce, la mainlevée de nantissement sur fonds de commerce qui devait être obligatoirement authentique. Résultat de ce “dépouillement“ en règle : les actes notariés ne sont pas obligatoires. C'est le sous-seing privé (SSP) qui tient le haut du pavé. Le SSP est établi par presque toutes les professions : écrivains publics, experts comptables, avocats, fiduciaires. “On voudrait tuer le notariat qu'on ne s'y prendrait pas autrement“, explique un notaire chevronné. En effet, ailleurs, en Europe et même dans certains pays d'Afrique noire, le sous-seing privé est formellement interdit. Le législateur impose le recours au notaire considéré à juste titre comme un spécialiste du contrat. La mission de ce dernier étant d'éviter à son client de revendiquer son droit devant un tribunal. Ce droit, l'étude notariale se l'accorde volontairement et mutuellement par la force de la loi. D'ailleurs, la majorité des actes élaborés au Maroc en dehors du notaire, surtout quand ceux-ci sont le fait de néophytes en matière de droit, donnent lieu à des litiges qui finissent devant la justice. Comme si cela ne suffisait pas, Il existe actuellement une confusion dans les esprits des citoyens entre le notaire et les conseillers juridiques. Ces derniers, qui établissent eux aussi des SSP, légalisent ces actes au service indiqué de la commune souvent hors la présence des parties contractantes, sachant que pour la conformité d'une signature, l'intéressé doit être présent physiquement. Autrement, cela pourrait donner lieu à des abus. Les actes notariés, étant authentiques, sont dispensés, quant à eux, de la formalité de légalisation. Le préposé à cette formalité ne garantit que la conformité de la signature apposée, tandis que le notaire garantit et le corps de l'acte et la signature. Et puis, le notaire est soumis à un contrôle du service de l'enregistrement et du ministère public. Il est également tenu de répertorier ses actes au jour le jour dans un répertoire numéroté (qui comporte les mentions de chaque acte), paraphé au tribunal et dont la forme est minutieusement réglementée. Une fois par mois, le notaire doit également faire arrêter et viser son répertoire par l'ordonnateur du service de l'enregistrement. En fait, les notaires ont beaucoup d'obligations vis-à-vis de l'administration. Mais en contrepartie, ils ne sont pas récompensés. Ainsi le nouveau code de recouvrement des créances de l'Etat rend-il le notaire solidairement tenu des impôts et taxes dus à l'occasion des actes établis pour leurs clients. Quid des actes sous-seing privé ? Ceux-ci, étant donné qu'ils sont produits de manière informelle, échappent à la fiscalité. L'Etat le sait, mais ne fait rien. Les notaires, par contre, sont identifiés, connus des interlocuteurs de l'administration. En cas de problème, le conservateur par exemple ayant omis de demander un document donné peut joindre le notaire pour qu'il le lui rapporte. Ce qui n'est pas le cas avec les rédacteurs des actes SSP, qui eux sont souvent anonymes. Fantomatiques. Pas de raison sociale. Pas d'adresse. Pas d'identité. Les actes sous-seing privé ont pendant longtemps fait le bonheur d'une noria de falsificateurs et d'escrocs. En effet, un grand nombre de terrains qui ont acquis de la valeur avec le temps ont été délaissés par des colons étrangers, français ou espagnols. Certains d'entre eux étant décédés, ces propriétés même immatriculées au nom de leurs propriétaires ne sont souvent revendiquées par personne. La technique est au point : repérage du patrimoine en déshérence, collecte des renseignements. Ensuite, tentative de captation d'héritage. Par un jeu de complicités et de fausses légalisations avec des dates anciennes : établissement d'un acte de vente entre le vrai propriétaire décédé et un parent, également mort du “nouveau bénéficiaire“. Comme on n'est pas encore arrivé à faire parler les morts, le faux héritier se fait passer pour un vrai ayant-droit. Certaines arnaques ont réussi faisant de leurs auteurs des hommes riches. D'autres pour avoir mal tourné se sont transformées en litiges judiciaires. Certains jeunes notaires, exaspérés par tant d'injustice à l'égard de leur profession, se sentant lésés dans leurs intérêts légitimes, ne savent plus ce qu'il faut faire pour faire aboutir leurs revendications. Une chose est sûre : les faiseurs d'actes SSP sont les mieux lotis pour le moment, dès lors qu'ils ne sont responsables vis-à-vis de personne.