Interview. Mercredi au théâtre 121 de l'IF de Casablanca, concert baroque de l'ensemble XVII-21. Rachid Ben Abdeslam était présent. Sa voix éthérée a émerveillé les spectateurs. Aujourd'hui le Maroc : Vous êtes issu d'une famille qui a marqué de son empreinte le champ de la chanson marocaine ? Rachid Ben Abdeslam : Oui, mon père est compositeur, ma sœur chante, mon frère joue avec l'Orchestre philharmonique du Maroc. Au début, ça m'a un peu agacé d'être toujours désigné comme le fils de mon père. Mon père a fait d'excellentes choses pour la chanson marocaine, mais j'ai choisi une voie différente. Au début, les membres de ma famille ne savaient pas où j'allais, ils doutaient de moi. C'est avec le temps qu'ils ont commencé à apprécier. Pour preuve, mon père est venu ce soir alors qu'il se déplace rarement. On trouve difficilement vos enregistrements au Maroc ? Oui, je fais partie des chanteurs qui préfèrent les tournées avant de passer aux enregistrements. Il y en a qui font l'inverse. Personnellement, je pense que la tournée apporte beaucoup à un chanteur. C'est là qu'il apprend, qu'il se corrige. Face au public, il n'a pas droit à l'erreur. La scène est une excellente école. Elle prépare dans des conditions difficiles aux enregistrements. Vous jouez avec la voix, mais aussi avec le corps. Le geste est important dans votre jeu. Cela vous vient-il des rôles que vous avez tenus dans le théâtre lyrique ? Tout à fait. L'opéra, c'est aussi du théâtre, du jeu… Et puis n'oubliez pas que dans le programme de ce soir, il y avait plusieurs morceaux puisés dans l'opéra de chambre. L'opéra, c'est une action dramatique mise en musique, c'est-à-dire que les rôles sont chantés. Les sentiments ne sont pas exprimés seulement avec la voix, mais aussi avec le corps. Il y a ainsi une dialectique entre les accents de la voix et le langage du corps. Dans la dernière chanson en arabe, on vous a senti plus expressif que dans les autres ? Vous n'êtes pas le premier à me faire cette remarque. Pourtant, je chante de la même façon tous les répertoires. J'essaie de traduire avec le plus d'énergie la charge émotive qu'elles transportent. La chanson arabe en question est une composition de Zériab. Elle date du XIVe siècle. On n'a pas l'habitude d'entendre des contre-ténors interpréter en voix de tête des chansons arabes. C'est peut-être pour cela que les gens y ont été plus sensibles. Mais je ne pense pas que cela soit dû au fait que je sois arabe. Je ferai d'ailleurs plaisir aux personnes qui ont aimé la chanson de Zériab en leur disant que je travaille actuellement sur un projet d'enregistrements de chansons arabes datant du XIIIe et XIVe siècle. Cela n'est pas toutefois facile, parce que je n'ai pas encore trouvé une équipe de chercheurs pour répertorier ces chansons. Vous êtes lié à un opéra ? Non je travaille en free-lance. Ce qui me laisse libre de refuser les répertoires qui ne me conviennent pas. On ne vous a jamais entendu au festival des musiques sacrées de Fès ? Parce qu'on ne m'y a pas invité. Je ne refuse jamais une proposition pour me produire au Maroc. J'aime donner des concerts dans mon pays. C'est pour cela que j'y réponds de mon mieux. Il m'arrive même de modifier mon programme pour venir ici. C'est dire que ce n'est pas une question de volonté. Est-ce qu'il vous arrive de chanter du contemporain ? Oui, bien sûr ! Je viens d'interpréter une composition d'Alban Berg. Au début du siècle, plusieurs compositeurs ont créé des rôles pour des contre-ténors. C'est une voix dont les accents purs convenaient à certaines de leurs compositions. Je ne peux laisser de côté ce répertoire, d'autant plus qu'il exprime des choses près de nous Vous ne craignez pas de vous abîmer la voix en passant du baroque au contemporain ? Je n'ai jamais chanté de classique avant d'apprendre le chant. Cela ne m'a pas posé de problème. Je ne vois pas pourquoi j'en aurai en chantant Schönberg ou Berg. La voix est un don du ciel, elle est innée.