Mohamed El Herouachi met en exergue les revendications de son association et raconte ce qui s'est passé en 1975. ALM : Est-ce que vous avez l'espoir d'obtenir vos droits ? Mohamed El Herouachi : Nous ne renoncerons jamais à nos droits même après cent ans. Les Arméniens ont obtenu gain de cause auprès des Turcs après des centaines d'années. Aujourd'hui c'est le moment opportun pour revendiquer nos droits. En 1975, le système international s'était enlisé dans la bipolarité. La culture des droits de l'Homme n'y était pas. Aujourd'hui, le contexte a beaucoup changé. Plusieurs associations militent désormais pour la promotion des droits de l'Homme. C'est ainsi que nous nous sommes réunis, nous les victimes de l'expulsion, et nous avons décidé de créer le 23 juillet 2005 un cadre juridique qui nous permet de revendiquer nos droits.
Que s'est-il passé en 1975 ? Tout d'abord il y a eu des expulsions massives en 1963 peu de temps après la guerre des sables. En 1965, et après le coup d'Etat contre Ben Bella, plusieurs autres Marocains sympathisants avec ce dernier ont été expulsés. Puis, en 1968, il y a eu une opération d'épuration dans les rangs de l'armée nationale algérienne. Un ex-officier de cette armée, Lakhder Bourekaâ, avait édité un ouvrage intitulé «Un témoin sur l'assassinat de la révolution». Il affirme dans cet ouvrage avoir assisté à des assassinats de dizaines d'officiers de l'armée qui n'étaient pas marocains mais des Algériens nés au Maroc ou d'un parent marocain. Puis, en 1975, c'était l'expulsion massive. Cette opération a été dénommée «La marche noire». Elle faisait allusion à la Marche Verte. En cette année, le nombre des expulsés a atteint la moitié de ceux qui ont participé à la Marche Verte.
Quelles sont aujourd'hui vos revendications ? En 2006, nous avons envoyé une lettre à Bouteflika pour lui expliquer nos revendications qui sont au nombre de cinq. Tout d'abord nous revendiquons l'ouverture des frontières entre le Maroc et l'Algérie. L'expulsion massive des Marocains a causé une déchirure des familles et la fermeture actuellement des frontières ne fait que l'accentuer. Imaginez, par exemple, une famille qui habite à Oujda et qui veut se déplacer à Tlemcen, la distance séparant ces villes est d'environ 40 km. Mais cette famille doit se diriger vers Casablanca, puis prendre l'avion vers Alger puis se rendre vers Tlemcen, c'est-à-dire plus de 2800 Km. Nous revendiquons en second lieu à ce que les propriétés qui ont été soustraites aux victimes leur soient rendues. Nous demandons également une réparation des préjudices subis par les victimes. Nous revendiquons en quatrième lieu des excuses officielles de l'Etat algérien. Et enfin, nous plaidons pour des investigations à propos des crimes qui ont été commis par l'Etat algérien. Pouvez-vous nous donner un exemple de ces crimes ? Le 5 juillet 1962, le jour de l'indépendance de l'Algérie, il y a eu un massacre parmi les Français, les Espagnols, les Marocains ainsi que les Juifs. Bien évidemment, l'Etat algérien ne s'est pas déclaré à propos de ces crimes, mais il y a un étang à Sebkha près d'Oran dans la municipalité de Siniya où se trouvent des fosses communes. Dans ces fosses, il y a à peu près 5000 cadavres dont 1000 sont des Marocains. Quels sont les arguments juridiques sur lesquels se fondent vos revendications ? Oui, toutes nos revendications se basent sur un fondement juridique solide. Le statut de la Cour pénale internationale prévoit que les crimes contre l'humanité ne tombent jamais en caducité. Le viol, les meurtres, le déplacement forcé et l'épuration raciale sont des crimes qui ont été commis par l'Algérie et qui sont qualifiés de crime contre l'humanité que ce soit du point de vue de la loi que de la morale. Nous avons la loi de notre côté.
Racontez-nous ce qui s'est passé avec vous ? C'était en 1975. Le Maroc avait battu l'Algérie dans un match de football à Kénitra. Suite à cette défaite, mes amis Algériens enragés ont commencé à insulter Feu Hassan II. Je n'ai pas pu me retenir et j'ai tenu, à mon tour, des propos offensifs contre Boumediene. J'avais à l'époque 23 ans et je ne mesurais point les conséquences éventuelles d'un tel acte. D'une manière ou d'une autre, l'information était parvenue aux services de sécurité. J'ai été arrêté par la police et j'ai subi des tortures pendant 21 jours de la manière la plus atroce. Pendant 21 nuits, j'ai été emprisonné dans une cellule d'un mètre carré de surface et de 3 mètres de hauteur. Chaque nuit, ils mettaient du ciment dans ma cellule et je me trouvais dans l'obligation de respirer et d'expirer cette matière. Je n'ai pas pu quitter la prison que suite à des témoignages de certains amis qui ont déclaré à la police que je n'ai pas insulté Boumediene. Suite à cela, j'ai été expulsé vers Oujda.
A qui portez-vous la responsabilité de l'expulsion ? La responsabilité de ce qui s'est passé en 1975 est à imputer à l'Etat algérien. En ce qui concerne les responsables physiques, il s'agit de l'ex-président algérien Boumediene, Abdelaziz Bouteflika qui occupait à l'époque le poste de ministre des Affaires étrangères, Rabeh Betat, l'ex-président du conseil national, Mohamed Ahmed Abdelghani qui était ministre de l'Intérieur, Chadli Benjdid qui à l'époque était commandant de la zone militaire d'Oran, Dehhou Oueld El Kabliya, ex-gouverneur de la ville d'Oran et qui occupe actuellement un poste au sein du gouvernement et Larbi Belkhir, ex-commandant du conseil militaire.