En décembre dernier, la police judiciaire de Rabat a démantelé un vaste réseau de falsification de bons d'essence de Shell Maroc. L'affaire qui porte sur un préjudice de plusieurs millions de dirhams est devant la justice. Lundi 24 décembre. Il est 18 heures 45. La nuit vient de tomber. Au-dehors, les lampadaires s'allument dans la rue. Ce ressortissant français, la cinquantaine décontractée, jette un coup d'œil rapide à sa montre, puis éteint les commutateurs. «ça suffit pour aujourd'hui», se dit-il en sifflotant. Une bonne humeur qui s'explique par le fait que nous sommes à la veille de Noël. Une fête qui se célèbre comme il se doit chez les Chrétiens. La dinde, la bûche et autres délices sont au menu. Mais M. Faure se ravise. Quelque chose lui traverse soudainement l'esprit comme un éclair. Il rallume les lumières et revient d'un pas décidé vers son bureau où trône l'ordinateur. Il a oublié de consulter son e-mail et surtout de répondre au message que lui a adressé il y a deux jours un ami de longue date. Au moment où il s'apprête à éteindre sa machine après avoir fait le nécessaire, il se résout par réflexe à ouvrir un fichier qu'il comptait laisser pour le lendemain. Il s'agit du dossier relatif au bilan 2001 de l'entreprise dont il est patron, shell Maroc, située à Sidi Maârouf à Casablanca. Mal lui en a pris. Michel Faure s'attarde, les yeux écarquillés, sur un poste qui d'habitude ne pesait pas lourd dans les comptes de la société. « Mon dieu, fit-il, quelque chose cloche là-dedans». Le poste en question concerne les bons d'essence. Quelque millions de Dhs sont en trop. Le visage de M. Faure révèle du coup le trouble de son esprit. Ce n'est pas possible», se répète-t-il à lui-même, l'air soupçonneux. À ce rythme, ce n'est pas sa bûche qui va fondre… Déjà, il ne se sent plus aussi enthousiaste qu'il y a quelques minutes. Soirée de Noël gâchée. Michel Faure avise alors le siège de Shell à Londres. Le lendemain, c'est le branle-bas de combat à Shell, à Casablanca. De quoi s'agit-il ? Une affaire d'arnaque aux bons d'essence. Une grande quantité de ceux-ci ont été falsifiés. Ce n'est pas la première fois que cette multinationale est victime de ce genre de vol. Une affaire similaire, où ont été impliquées 3 personnes, a été portée il y a quelques mois devant la justice à Casablanca. Cette fois-ci, c'est la Police judiciaire de Rabat qui a démantelé un autre réseau de trafic dont les membres comparaissent depuis quelques jours devant le tribunal de première instance de la capitale. Ces derniers, au nombre de cinq, issus de Casablanca, sont passés tout de suite aux aveux. Parmi eux, le responsable de l'imprimerie 2000 à Sidi Othmane. Quant au cerveau de l'opération, un jeune récidiviste de 28 ans, qui habite dans le quartier Moulay Abdallah à Casablanca, il est toujours en fuite. Recherché activement par la police pour d'autres délits d'escroquerie et d'abus de confiance, c'est lui qui a conçu et «managé» cette affaire diabolique du début jusqu'à la fin. La technique est au point. Le chef de la bande s'est débrouillé en octobre dernier l'on ne sait comment un bon de commande estampillé Shell pour imprimer des bons d'essence ainsi qu'un spécimen de ces derniers. Ensuite, il est allé voir le patron de l'imprimerie en question. Le numéro de téléphone de l'entreprise émettrice est inscrit sur le document. Vérification oblige, l'imprimeur, explique-t-il aux enquêteurs, appelle pour donner les références du papier. Un faux papier bien sûr. Une voix féminine lui aurait confirmé au bout du fil. «C'est bien le document de Shell-Maroc, monsieur». Cet OK c'est le sésame qui allait faire tourner l'offset. Pas moins de 200 carnets seront tirés. Chaque carnet contient 100 bons à 200 dhs l'unité portant sur l'essence super. Une fortune. Le directeur de l'imprimerie est-il dans le coup? A-t-il vraiment pris le soin de vérifier comme il le prétend? Une chose est sûre : Il existe bel et bien des complices à l'intérieur de Shell. La direction le sait mais elle n'est pas encore arrivée à les démasquer. Une enquête interne a été diligentée. Une fois les bons d'essence en poche, l'escroc en chef les caresse doucement de la main en se léchant les babines. Il a sur lui une coquette somme. Pour transformer ces bouts de papier en billets d'argent, il loue des voitures pour quelques jours et s'attache les services d'un groupe de jeunes paumés qui font office de chauffeurs. À chaque station shell, ces derniers approchent le pompiste à qui ils proposent d'échanger les bons d'essence contre de l'argent en espèces. Pour chaque bon, il débourse 120 Dhs. Une belle affaire pour les préposés à la pompe. Ensuite, les faux bons et les vrais sont remboursés par la société mère. Les villes qui ont été visées par ce réseau sont Casablanca, Rabat, Kénitra, Méknès, Marrakech, El Jadida et Khémisset. Michel Faure n'en revient toujours pas. Depuis que ce scandale a éclaté, il a passé au peigne fin tous les bons d'essence qui lui ont été retournés au cours des derniers mois par les différentes stations-service du Maroc. Un boulot énorme. Esprit carré, M. Faure est en train de réfléchir à la parade. Un système sinon infaillible du moins susceptible de réduire les arnaques aux bons d'essence dont Shell est victime de manière récurrente.