Dès qu'un micro se tend, dès qu'une caméra pointe son objectif vers François Bayrou, l'homme est encore capable de faire des étincelles dont l'écho dépasse largement son poids politique réel ou supposé. Logiquement et arithmétiquement, François Bayrou devrait être un cadavre politique, aphone et sans envergure. Sa voix ne devrait même pas troubler la tranquillité d'un paisible village de province. Et pour cause. Le parti politique qu'il dirige depuis sa fameuse troisième place à la dernière présidentielle, le Modem, est famélique et sans influence ni troupes. Le fameux «Centre» qu'il a essayé de réanimer pour peser dans la vie politique française entre une droite euphorique et une gauche minée par ses divisions, a connu de violents morcellements sous les coups de boutoir revanchards de Nicolas Sarkozy. Et pourtant, dès qu'un micro se tend, dès qu'une caméra pointe son objectif vers François Bayrou, l'homme est encore capable de faire des étincelles dont l'écho dépasse largement son poids politique réel ou supposé. Avec une ligne d'attaque et de défense cohérente, celle de dénoncer la politique de Nicolas Sarkozy sous toutes ses formes et dans toutes ses variantes. Il est si régulier dans ses critiques contre le président de la République que ses détracteurs l'accusent d'avoir fait de la dénonciation du «Sarkozysme» son seul fonds de commerce à travers lequel il compte continuer à exister. Deux grandes affaires récentes ont permis à François Bayrou de jouer un air de violon original. La première est l'affaire Bernard Tapie dans laquelle une justice sous influence est accusée d'avoir favorisé l'ancien homme d'affaires et ministre de François Mitterrand en lui accordant des indemnités faramineuses dans le litige qui l'opposait depuis des années à la Banque du Crédit lyonnais. François Bayrou a été des rares hommes politiques à mener une campagne organisée contre ce jugement. Récemment encore, il a redit avec force sa conviction sur le sujet et de dénoncer : «L'arbitraire politique (qui) a imposé à l'Etat de gruger le contribuable français de 400 millions d'euros (…) Il y a eu une atteinte totale aux principes républicains. On est en train d'abuser le contribuable en lui volant 400 millions d'euros d'argent public et normalement, les élus de la République ne devraient pas le laisser faire». La seconde affaire concerne le fiévreux débat qui agite depuis quelques jours la classe politique française autour de la décision du gouvernement de Nicolas Sarkozy d'instaurer le Revenu de solidarité active (RSA) comme une des réformes phares pour lutter contre la pauvreté. Si cette décision a trouvé grâce même aux yeux de l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin qui la considère comme «une bonne réforme», elle n'a pourtant pas réussi à convaincre François Bayrou qui a pointé avec minutie les failles de son financement, point essentiel sur lequel Nicolas Sarkozy compte vendre sa réforme : «Qui va payer? On dit que c'est un impôt sur le capital et c'est faux. C'est un impôt sur les épargnants, ce sont eux qui vont payer. De même que ceux qui ont une petite assurance-vie, ceux qui ont acheté un appartement pour le louer. Et au bout du compte, ce sont les locataires qui payeront (…) Cette manière de mettre à contribution la classe moyenne, sans toucher à ceux qui sont le plus favorisés - car ceux-ci sont défendus par le bouclier fiscal -, me déplaît beaucoup». François Bayrou ne se limite pas à s'opposer frontalement à l'ère Sarkozy. Il se paie même le luxe de s'inviter dans le grand débat de succession que vivent les socialistes français dans leurs tentatives de trouver un remplaçant à François Hollande. Soumis à cette question : «Martine Aubry vous a-t-elle confié avoir voté pour vous au premier tour de l'élection présidentielle plutôt que pour Ségolène Royal? » François Bayrou a eu cette réponse pleine de sous-entendus : «Il arrive qu'on ait des manifestations auditives, on appelle cela des acouphènes, alors j'ai dû avoir des acouphènes». Le sang de Martine Aubry n'avait fait qu'un tour. Après avoir jugé cette révélation «lamentable», elle avait renvoyé un solide uppercut dans la mâchoire de François Bayrou : «La question qu'il faut poser, c'est: « François Bayrou a-t-il voté pour Ségolène Royal au second tour? ». François Bayrou semble avoir trouvé le filon qui lui maintient la tête hors de l'eau malgré les déboires de son parti, celui de nourrir une opposition systématique à Nicolas Sarkozy, un sillon que d'autres comme Olivier Besancenot, le leader de l'extrême gauche ou Daniel Cohen Bendit le symbole des Verts européens cultivent avec succès.