En effet, la présence d'Al Qaïda au sud du Sahara n'en finit pas d'inquiéter, or Alger s'était souvent présenté comme «l'armée la plus rodée» pour lutter contre le terrorisme et a refusé une politique multilatérale. La délégation marocaine pour Manhasset 3, la même que celle du second round, sait exactement à quoi s'en tenir. L'Algérie et le Polisario ont clairement fixé les enjeux : un simple exercice de style. Le Maroc ira donc pour prouver que lui se conforme aux vœux des grandes puissances de voir la bonne foi présider à ces pourparlers, l'autre partie qui menace de reprendre les armes ne peut en faire de même. C'est maigre, mais c'est bon à prendre. Par contre, ce qui se passe à Tifariti est plus subtil et plus dangereux. Le Polisario tente de donner vie à la légende des territoires libérés. Il a annoncé, en grande pompe, la construction de 750 logements. La réaction du Maroc est vive. Il sait que cette stratégie vise en premier lieu l'Afrique, d'où l'épisode malheureux avec le Sénégal. Les officiels marocains affirment qu'ils feront échec à cette stratégie «par tous les moyens», le terme réapparaît dans le lexique de la diplomatie marocaine pour la première fois depuis une décennie. A Manhasset, il sera aussi et peut-être surtout question de mettre à nu cette duplicité. Le Maroc tentera de rappeler que le dispositif de défense, appelé stratégie des murs, s'est éloigné des frontières algérienne et mauritanienne pour éviter toute généralisation du conflit et que ce n'était en aucun cas une sorte de frontière. Par ailleurs, comme à chaque fois que le Polisario est dans les cordes au fond du ring, l'Algérie se dévoile. Entre la fermeture des frontières et 2004, Alger réclamait officiellement la neutralisation de l'affaire du Sahara et l'établissement de relations bilatérales laissant de côté ce dossier. Après la suppression des visas par le Maroc, Alger déclare les relations bilatérales une question annexe du dossier du Sahara et refuse tout contact. Ce revirement est aujourd'hui accentué par la pression internationale sur Alger au sujet de la lutte contre le terrorisme. En effet, la présence d'Al Qaïda au sud du Sahara n'en finit pas d'inquiéter, or Alger s'était souvent présenté comme « l'armée la plus rodée » pour lutter contre le terrorisme et a refusé une politique multilatérale. On sait ce qu'il en est aujourd'hui, y compris dans les locaux de la Primature algérienne. Dans ces conditions, adouber un groupe armé qui revendique l'instabilité relève de l'incohérence. Alger met ses disponibilités financières et ses contrats au service de la cause pour contrecarrer cette pression. Officiellement, sa délégation à Manhasset 3 ne participera qu'aux cérémonies d'ouverture et de clôture. Personne n'est dupe, l'activisme de sa diplomatie est remarqué par toutes les chancelleries. Dans ce contexte, il est illusoire de s'attendre à des avancées réelles vers une solution politique négociée. Le contentieux apparent cache en fait un autre beaucoup plus lourd, et il est maroco-algérien. L'affaire du Sahara n'est qu'une arme pour Alger dans ce choc des nationalismes qui nous oppose. L'élite algérienne ne s'en cache même plus, «tant que l'Algérie n'aura pas réussi les réformes nécessaires, il est hors de question de résoudre l'affaire du Sahara . C'est ce que disent soutiens et opposants de Bouteflika. La hantise de l'élite algérienne, c'est de se retrouver en situation de marché face à un Maroc débarrassé de ses scories. Le projet algérien, depuis l'indépendance, magnifiant la lutte pour la libération et comptant sur les ressources des hydrocarbures, c'est d'être la puissance régionale. Manque de pot, à côté il y a un Etat-nation millénaire. C'est ce que l'élite algérienne appelle « le narcissisme historique marocain», comme si une guerre de libération de 10 ans pouvait valoir 14 siècles d'histoire, avec leurs pages de gloire. D'ailleurs, depuis quelques décennies, ils nous contestent Tariq Ibnou Ziad, Sidi Ahmed Tijani et bientôt ils voudront récupérer le Tombeau des Saâdiens. Pour bien comprendre cet atavisme, je vous raconte cette anecdote véridique. Hassan II se rendait à Alger en bateau, alors que les officiels l'attendaient sur la quai, la montée du Roi sur le pont se fait avec tout le cérémonial du protocole. Un ministre algérien se tourne vers son collègue et lui dit : «Il n'y a pas à dire, ça a de la gueule». Parce que nous ne pouvons pas effacer le poids de notre histoire. Il faudra prendre notre mal en patience. Manhasset 3 aura une suite, un Manhasset 4 sans plus.