L'ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor s'est éteint jeudi en France, à l'âge de 95 ans. Le poète-président a donné des leçons immortelles de modestie, non seulement à l'Afrique, mais aux dirigeants du monde entier. Poète de la « négritude », Léopold Sédar Senghor a été l'un des plus ardents défenseurs de la langue française et l'ambassadeur universel de la culture de l'Afrique noire dans le monde. Sa mort a été annoncée à Dakar par l'actuel président sénégalais alors que les chefs d'Etat de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) étaient réunis pour leur 25ème sommet. «Léopold Sédar Senghor est certes du Sénégal, mais il est de l'Afrique et il est un citoyen du monde», a déclaré le chef de l'Etat malien Alpha Oumar Konaré, en tant que président en exercice de la CEDEAO, dans un vibrant hommage à l'ancien président-poète. A Paris, le président Jacques Chirac s'est incliné devant la mémoire de celui qui fut «l'une des plus grandes figures contemporaines de l'humanisme». «La poésie vient de perdre un maître, le Sénégal un homme d'Etat, l'Afrique un visionnaire et la France un ami», a déclaré M. Chirac, dans un communiqué rendu public par le service de presse de la présidence française. Premier agrégé africain de l'université de Paris en 1935 et premier écrivain noir reçu à l'Académie française en 1984, Senghor a été un homme politique et un homme de lettres couvert de lauriers. Cet agrégé de grammaire française a lié son nom à la francophonie. Tout au long de sa vie, Senghor a été honoré de nombreuses distinctions littéraires françaises et étrangères. Il était également docteur honoris causa d'une trentaine d'universités à travers le monde. Comme d'autres acteurs-clés de la décolonisation en Afrique francophone, Senghor avait participé à la vie politique française sous la IVème République, tout en militant pour l'émancipation de son pays. Pour ses compatriotes, il reste le fondateur de l'Etat sénégalais et un redoutable stratège politique. Humaniste policé, connu dans le monde comme le poète de la négritude, Senghor l'homme d'Etat a toujours été habile à tirer et dénouer les ficelles, à user tour à tour de fermeté et de souplesse, à désamorcer les crises qui ont ponctué vingt années de pouvoir. Et il savait réduire ses opposants, en les intégrant à son parti avant de les mettre à l'écart. Dans sa volonté de créer un Etat fort, Senghor, socialiste francophile refusant toute mainmise de l'Union soviétique, a toujours refusé de transiger quand, selon lui, l'intérêt supérieur de la nation était en cause. Homme de culture, il sera pourtant le « député des badolos » (les pauvres), élu par les gens de la brousse, comme il aimait à le répéter. Catholique, il deviendra président du Sénégal en septembre 1960, puis sera réélu en 1963, 1968, 1973 et 1978, dans un pays très majoritairement musulman. Il démissionnera de son plein gré fin 1980, phénomène très rare sur le continent africain, laissant le pouvoir à celui qui avait été son premier ministre onze ans durant, Abdou Diouf. Malgré une modestie certaine de son ancien président, le Sénégal reste imprégné de « senghorisme ». Amusés ou agacés par sa « francité », alors que les problèmes économiques submergeaient le pays, les Sénégalais avaient cependant été très honorés de sa réception à l'Académie française, en 1984. Au plan politique, il laisse à son pays un multipartisme qu'il a voulu actif. Il laisse aussi une certaine idée de l'union africaine, lui qui fut de tous les combats pour l'unité et l'intégration économique du continent.