Les conseillers en communication politique pourront toujours arguer que la répartition des rôles fait partie de la guerre psychologique. Au Premier ministre et à son ministre de Travail d'alarmer et au président de calmer les esprits. Deux jours seulement après le lancement d'un mouvement social qu'on prédisait dure et intransigeant, sous forme d'un bras de fer qu'on décrivait comme politiquement mortel, voilà que Nicolas Sarkozy montre déjà quelques signes d'essoufflement. La musique martiale de la réforme à tout prix par l'harmonisation imposée des régimes de retraite, la technique du passage en force du bulldozer qui a longtemps été sa marque de fabrique viennent de subir quelques inflexions. Il vient de la faire savoir de la manière la plus simple à l'opinion. Le porte-parole de l'Elysée David Martinon a été chargé de transmettre la nouvelle intonation présidentielle : «Le président de la République a toujours considéré qu'il y avait plus à gagner pour toutes les parties dans la négociation que dans le conflit (…) Ce dernier doit s'arrêter le plus vite possible dans l'intérêt des usagers. La proposition (de la CGT) d'organiser pour chaque régime spécial une réunion tripartite entre les directions des entreprises et les organisations syndicales, en présence d'un représentant de l'Etat, est acceptée». Pour tous ceux qui se rappellent de l'état d'esprit de l'exécutif français à la veille de ce mouvement social, cette déclaration de l'Elysée de saisir la moindre petite ouverture lancée par le syndicat le plus en pointe de la contestation sociale (la CGT) ressemble d'avantage à un retournement de situation et prend les allures d'une concession majeure qui ne veut pas dire son nom. Les souvenirs sont encore frais dans les mémoires des positions ficelées du Premier ministre français Fillon, du ministre du Travail Xavier Bertrand ou de la plupart des conseillers du président. Toutes avaient un point commun: faire de la fermeté et de l'intransigeance la seule option stratégique à suivre dans la résolution de ce conflit si modèle et si particuliers. Les conseillers en communication politique pourront toujours arguer que la répartition des rôles fait partie de la guerre psychologique. Au Premier ministre et à son ministre de Travail chargé de la négociation d'alarmer le chaland, de dramatiser la température sociale et au président de la République de calmer les esprits et de remettre les protagonistes sur les rails de la négociation. Ce qui a poussé de nombreux observateurs à accoler le qualificatif de «leurre», de répétition théâtrale à cette confrontation. Dans le flot de commentaires qui avait évalué le face-à-face entre Nicolas Sarkozy et les syndicats, Marine Le Pen vice-présidente du Front national, a eu une expression assez juste pour décrire l'actuelle situation : «J'ai le sentiment d'assister un peu à un match de catch, ça a l'air très violent comme ça mais on le sentiment diffus qu'en réalité le conflit est déjà réglé». En acceptant en ces termes de suivre les syndicats sur le chemin du dialogue et de la négociation, Nicolas Sarkozy est dans son rôle de modérateur de la tension sociale. Pourtant, les échos qui proviennent de l'Elysée le décrivent comme quelqu'un qui est au «bout d'impatience dans son château». L'envie de descendre sur le terrain le démange. Le besoin d'entrer en contact physique avec les grévistes le titille. Il vient de montrer, parfois jusqu'à la caricature extrême, à quel point il adorait se friter, devant les caméras, avec les mécontents sociaux. Nicolas Sarkozy se doit aussi de calmer les ardeurs de son propre camp. Un de ses proches , le secrétaire général de l'UMP Patrick Devedjian agite le spectre de faire descendre dans la rue les anti-grévistes pour contrer les grévistes au cas où les négociations trainent en longueur et la paralysie des transports se poursuit : «Je pense que l'on devrait pouvoir éviter cela mais l'exaspération des usagers monte très fort (…) Aujourd'hui, le dialogue s'ouvre, j'espère qu'il va se développer, je pense que cela devrait être inutile, je l'espère, mais s'il faut le faire parce que ça durait indéfiniment, c'est une perspective à laquelle il ne faut pas renoncer». Il paraît clair aujourd'hui que ni Nicolas Sarkozy ni Bernard Thibault, patron de la toujours puissante CGT, n'ont un intérêt stratégique à l'enlisement du conflit. La doigtée politique actuelle consiste à trouver une issue à ce bras de fer sans que ni l'un ni l'autre ne perde la face devant l'opinion et les militants. Les deux hommes sont à la recherche d'un habillage de sortie de crise.