Directeur du quotidien arabophone «Al Ahdath Al Maghribia», Mohamed El Brini était, en début de semaine, le destinataire d'un colis piégé. Réaction de notre confrère dont la sérénité et la détermination n'ont visiblement pas été entamées par cette affaire. ALM : Quels sont les tenants et aboutissants du colis piégé qui vous a été adressé ? Mohamed El Brini : Il s'agit d'un colis piégé sous forme de lettre de vœux à l'occasion du Nouvel An, postée à Casablanca. Nous avons reçu ce courrier lundi 5 décembre en fin de matinée. Qui en était le destinataire ? Moi-même. L'avez-vous ouvert ? C'est le préposé au courrier qui se charge chaque matin de cette tâche. Quand il a ouvert l'enveloppe suspecte, il a pris peur ; son attention fut attirée par des fils qui dépassaient… illico, nous avons alerté la police qui est venue sur les lieux pour voir de quoi il retournait. S'agit-il véritablement d'un colis piégé ? En effet. Les enquêteurs ont saisi l'objet suspect dont le contenu fut analysé par le laboratoire scientifique de la police à Casablanca. Ils nous ont confirmé que le colis était bel et bien piégé puisqu'il renfermait des explosifs et un système de mise à feu. Il s'agit donc d'une bombe artisanale dissimulée dans un colis… Absolument. Les analyses ont montré que les matières explosives contenues dans le colis en question étaient semblables à celles utilisées dans les attentats ayant visé Casablanca le 16 mai 2003. Dieu merci, la bombe n'a pas explosé et il n'y a pas eu de victime. Qu'est-ce que vous pensez de cette affaire ? Pour moi, la signature est claire. Elle appartient vraisemblablement à ceux qui ont commandité les attaques terroristes de Casablanca. En conséquence, le colis piégé destiné à notre journal constitue à mes yeux un prolongement du 16 mai. Vous faites allusion à la nébuleuse de la Salafia Jihadia… Absolument Pourquoi cette nébuleuse voudrait-elle s'en prendre à vous ? Parce que notre journal, à travers ses articles et ses prises de position, ne cesse de contrer son idéologie violente et de dénoncer le danger que ces groupuscules représentent pour le tissu social marocain et pour la stabilité du pays. On chercherait donc à vous faire taire ? Manifestement, oui. Avez-vous déjà reçu des menaces de la part de ces groupuscules ? Nous sommes régulièrement menacés au téléphone et via des lettres écrites et des messages électroniques. Mais ce qui vient de se passer, l'expédition d'un colis piégé, représente un tournant dans la stratégie d'intimidation d'une nébuleuse qui ne connaît que le langage de la violence. En fait, à y regarder de plus près, je n'étais pas la seule personne visée par cet attentat. C'est toute la presse marocaine qui combat par la plume les dérives de l'intégrisme au Maroc qui est ainsi dans le collimateur. C'est aussi le message contenu dans le colis piégé. Après le terrorisme aveugle, les attaques ciblées ? Le recours aux colis piégés indiquerait un changement de stratégie. Avez-vous porté plainte ? Porter plainte contre qui ? Il ne s'agit pas d'une dispute avec une personne en chair et en os. Il s'agit d'un ennemi invisible qui peut frapper perfidement n'importe qui et à n'importe quel moment. Le terrorisme n'est pas l'affaire d'un seul individu ou d'une seule entité. Ce phénomène engage l'ensemble des forces vives du pays. Avez-vous peur ? Pas du tout. Faire peur est précisément l'objectif des expéditeurs anonymes du colis piégé. Ils cherchent à nous intimider pour que l'on renonce à notre mission d'informer. Notre journal continuera son combat contre toutes les dérives, y compris obscurantistes.