Réagissant à l'annonce de la grâce royale au profit de 33 détenus, mais également à l'envoi d'un colis piégé à notre confrère Al Ahdath Al Maghribia, Mohamed Sebti expose son point de vue et développe une analyse pertinente sur ces deux sujets. Durant la semaine dernière, nous avons assisté, presque concomitamment, à deux événements hautement symboliques, mais dans des directions diamétralement opposées. Si nous ne pouvons que nous féliciter de la libération des 33 détenus politiques dans une opération royale «de solde de tout compte», que faut-il penser du colis piégé adressé au journal «Al Ahdath Al Maghribia» ? D'un côté, une année 2004 qui démarre sur les chapeaux de roue avec cette grâce qui met du baume au cœur et qui nous invite tous, acteurs de la scène politique à ne plus douter d'une volonté royale clairement affichée, pour se diriger et se canaliser vers un Etat de droit, que tous les démocrates appellent de leurs vœux. D'un autre côté, un dangereux colis piégé, grave adresse au premier journal marocain -le plus fort tirage parmi les quotidiens nationaux- à un journal indépendant qui se prend en charge totalement, qui ne verse ni dans le nihilisme, ni dans le beni-ouiouisme. «Al Ahdath Al Maghribia» -il faut aujourd'hui le rappeler- est un quotidien qui est né d'une idée noble et désintéressée, celle d'un véritable professionnel qui a réussi à rassembler autour de lui des femmes et des hommes de cœur, qui ont bien voulu s'embarquer dans une aventure, celle des idées auxquelles ils croyaient. Ces idées sont l'indépendance de toute force politique ou d'argent, la construction de l'Etat de droit, une certaine idée positive d'un Maroc moderne et sans complexe et enfin la lutte contre l'obscurantisme et pour une presse libre et respectueuse de la déontologie de cette profession. Après un tour de table, qui ne dépassait guère les 2 millions de dirhams pour une vingtaine d'actionnaires indépendants, le journal a commencé à recruter tout azimut, dans notre vivier national des jeunes qui ont une formation universitaire, mais dont l'écrasante majorité n'avait aucune relation avec les métiers du journalisme. Une formation complémentaire a permis à un premier noyau dur de se mettre au travail, sincèrement, loyalement et sans compter. Le succès était heureusement au rendez-vous. Après moins d'une année d'existence, nous avons pu dépasser les chiffres de vente prévus pour la 5ème année dans l'étude de faisabilité. Ce succès qui est dû en grande partie à la politique de proximité de la ligne éditoriale «imprimée » par des hommes de métier, ne peut évidemment que faire des jaloux. Pour une fois, un journal indépendant, se prend en charge, gagne de l'argent tout en s'attaquant à de véritables tabous : ceux d'abord de la classe politique en général et ceux de l'obscurantisme en particulier. Une liberté de ton dans un quotidien national arabophone, cela n'était pas courant. Si on ajoute à cela que le même journal fait parler librement et abondamment (2 pages entières, deux fois par semaine) de la sexualité des marocains, c'en est trop. Aujourd'hui, on voudrait le faire taire, on envoie un colis piégé, pour assassiner la parole dite, la parole écrite. Que les commanditaires de cette sinistre tâche sachent qu'ils se trompent lourdement, que leur basse besogne ne détournera en aucune manière ni les journalistes ni la direction, ni les actionnaires d'»Al Ahdath Al Maghribia», de leurs objectifs initiaux et de leurs idéaux nobles. «Al Ahdath Al Maghribia» continuera à pourchasser et à dénoncer les fossoyeurs - tous les fossoyeurs- de notre religion, de notre économie, de notre société… Que ceux qui ont manifesté leur solidarité -et ils sont nombreux, Dieu merci- sachent que nous partageons avec eux le même esprit de mobilisation et de vigilance pour ne pas dormir sur nos lauriers. La pieuvre est toujours là, prête à frapper, à démolir mais nous ne désarmerons pas. La société civile avec toutes ses compostantes, doit se structurer encore plus, faire entendre sa voix de manière plus voyante, plus systématique. Les partis politiques ont une lourde tâche, celle de consolider leurs acquis tout en s'ouvrant vers toutes les sensibilités démocratiques. Ouvrez grandes vos fenêtres, vos portes même si vous risquez quelques courant d'air. Un petit rhume se soigne, un cancer généralise est parfois incurable. L'appareil sécuritaire, s'il doit garder les yeux grands ouverts, ne doit pas avoir la main aussi lourde envers des exécutants, des pommés, il devrait extirper le mal à la racine, être intransigeant avec les concepteurs. Aucun Etat de droit ne peut se construire sans justice, sans équité. La réforme est urgente, nécessaire et devrait accompagner une bonne gouvernance. Cela s'appelle une économie de moyens et une efficacité dans l'action de longue haleine qu'elle soit économique ou sociale. Nous avons perdu trop de temps dans la critique, passons maintenant calmement et sereinement à l'action globale, totale dans les secteurs qui nécessitent parfois une génération pour être véritablement reformés. Du coup le colis piégé d'Al Ahdath qui voulait tuer l'espoir, ne sera qu'un mauvais souvenir, un fait divers de bas étage. • Mohamed Sebti Entrepreneur