Fathallah Oualalou, membre du bureau politique de l'USFP et ministre des Finances et de la Privatisation, revient en détail, sur le programme de son parti ainsi que sur le bilan du gouvernement dans le domaine économique. ALM : L'USFP s'engage à doubler le PIB par habitant sur les dix prochaines années. Quelles mesures prévoyez-vous pour atteindre cet objectif ? Fathallah Oualalou : Pour saisir la portée et la faisabilité de cet objectif, il faut tenir compte des progrès réalisés ces dix dernières années. En effet, le rythme moyen de croissance du PIB se situe désormais à un niveau supérieur à 5%. Plus important encore le PIB non agricole a franchi un palier plus important, plus soutenu et régulier de croissance de quelque 5,4%. C'est autour de cette base que l'on a nourri l'ambition d'améliorer notre PIB, dans les cinq années à venir en passant d'une façon graduelle à 6 puis à 7% de taux de croissance moyen. L'objectivité de cet élément du programme de l'USFP tient aussi aux caractéristiques de l'évolution démographique. On doit aussi tenir compte du changement de rythme dans la progression démographique et ses implications sur la masse et la configuration générale de la population active puisque nous parlons de PIB par tête d'habitant. Ces deux corollaires étant soulignés, il y a lieu d'ajouter que ce progrès se ferait assurément par l'arrivée à maturité des réformes que nous avons déjà lancées ces dernières années. Mais surtout il ne faut pas oublier les grandes et fructueuses retombées du processus de dynamisation de la politique agricole dans le sens de la reconversion profonde de nos activités agricoles, du lancement d'une réforme soutenue des terres collectives et du foncier en général, en prolongement de la logique de mise en valeur et de mobilisation de notre potentiel foncier et agricole tel qu'initié et en cours de réalisation avec le dossier Sodea-Sogeta. Sur un autre plan, notre programme entend réaliser cet objectif en améliorant les performances de notre système d'Education-formation.
Vous comptez créer 2 millions d'emplois en cinq années tandis que l'Istiqlal table seulement sur 1,3 million. Comment allez-vous créer autant de postes d'emploi ? C'est sûr qu'un parti socialiste s'avère toujours plus volontariste en matière de création d'emploi. La différence des chiffres ne doit être interprétée comme étant une discordance majeure ou comme reflétant des propositions disjonctives. Surtout, il ne faut pas y voir une divergence de taille. Bien qu'ils regorgent de nuances et de différences d'appréciation, les deux programmes du PI et de l'USFP ressortent de la même logique. Ils s'inscrivent dans une logique de rénovation et de continuité. L'analyse qui est à la base de notre programme en matière de lutte contre le chômage et de création d'emplois part du fait que le problème de l'emploi au Maroc demeure nécessairement lié à la maîtrise de trois grandes dimensions. Quelles sont ces trois grandes dimensions ? Premièrement, il s'agit de la progression du rythme de la croissance qui est devenue un fait tangible. Nous pensons à l'USFP que le Maroc, qui est arrivé à créer plus de 300.000 emplois en 2006, a la possibilité, dans le cadre de l'amélioration de son PIB, d'aller aisément dans ce sens. Ce qui est important, à mon humble avis, c'est de réussir le challenge de la diversification de notre économie et en même temps de performer dans la maîtrise des secteurs d'accompagnement tels que l'eau, l'énergie et la logistique des transports, notamment, dans lesquels nous devons bien sûr mettre en place des stratégies à long terme et des programmes de réalisation territorialisés. La deuxième dimension est celle de la formation. La réforme de notre système d'enseignement dont les bases ont été déjà mises en place doit être actualisée et réagencée pour rester intimement liée au souci de l'emploi. D'où, d'ailleurs, des éléments du programme de l'USFP concernant le nombre des bacheliers scientifiques ou la part des licences professionnelles dans le cursus universitaire. Nous accordons également une vive importance à la réalisation du «projet 10.000 ingénieurs» et aux projets de formation des cadres du tourisme, des NTIC et de l'offshoring. Enfin, la troisième dimension réside dans la maturation et le renforcement des projets mis en place lors de ces dernières années pour s'attaquer au problème du chômage des jeunes diplômés. A ce propos, trois pistes importantes sont testées et dont il faudrait tirer les enseignements pour élaborer des formules plus fructueuses. De quoi s'agit-il au juste ? Avec les programmes « Idmaj», «Taâhi» et «Moukawalati», c'est un essai pour définir la voie et permettre une meilleure orientation et reconversion des jeunes diplômés. Par ce biais, nous entendons renforcer les structures et les modalités d'accompagnement des différents segments du marché du travail. L'amélioration de l'employabilité et des chances d'accès à l'emploi nécessite certes des actions très générales sur le plan de la politique de la santé et de l'éducation de base, de l'actualisation du système éducatif et de ses programmes. Mais elle se poursuit par la prise en charge des changements technologiques par des formations spécialisées. Elle nécessite également la mise en place d'actions de mise à niveau permanente. C'est pour cela que la problématique de l'emploi se trouve à la fois en filigrane dans tous les axes constitutifs de notre programme économique et social. Votre programme accorde une place capitale à une loi spécifique pour les PME « Small Business Act », visant l'affectation de 20% des marchés publics à ces entreprises. Concrètement, quelle est votre stratégie de développement pour ce domaine ? Effectivement, une place privilégiée est accordée à l'entreprise en général et à la PME en particulier parce que nous croyons à l'entreprise comme noyau de création de richesses et à la PME pour qu'elle devienne le moteur de notre économie en termes de valeur ajoutée, d'emploi et d'exportation. Bien plus, le renforcement de l'entreprise et la promotion de l'esprit d'entreprise et la mise en place des conditions de production et de travail, constituent un fil directeur majeur dans notre programme. Les mesures contenues dans celui-ci traduisent le souci d'accompagnement de la PME. En la matière, deux catégories d'accompagnement sont à souligner: les dispositions fiscales et le renforcement des instruments de financement. Les chiffres que vous avancez sont-ils le fruit d'un programme bien ficelé ou juste des slogans faciles à retenir pour la campagne électorale ? L'ensemble des mesures avancées dans notre programme pour les législatives du 7 septembre 2007 sont le fruit d'une réflexion collective mûrie par tout un processus de préparation qui a débuté depuis décembre 2006. Si vous comparez l'ossature de nos derniers programmes, ceux de 1993,1997 et 2002, vous allez remarquer que progressivement leur contenu a gagné en précisions conceptuelles et en indications chiffrées. Cette année, tout le monde a remarqué l'effort de chiffrage effectué par l'USFP mais aussi par les autres partis de la Koutla. Ce n'est pas une innovation de façade, c'est la conséquence de la participation à la gestion de la chose publique. C'est aussi le résultat de la connaissance approfondie des grands dossiers et des grandes problématiques de notre société. Les chiffres avancés sont certes l'émanation d'une appréciation, mais une appréciation fondée sur la connaissance objective du terrain. Ces chiffres tiennent compte d'un soubassement, celui des acquis en termes de taux de croissance et dont la moyenne a doublé ces dernières années, en termes d'épargne qui a gagné 10 points en dix ans (33%), en termes de taux d'investissement qui a aussi augmenté de 10 points. L'amélioration du cadre macroéconomique constitue aussi un fondement de notre chiffrage. Quelle est donc l'originalité de votre programme ? Je crois que parmi les originalités du programme de l'USFP, et que nos concitoyens ne manqueront pas de remarquer, c'est la proposition de mettre en place un processus de confrontation frontale de lutte contre la pauvreté. C'est un processus qui peut adhérer, enrichir et accompagner l'INDH et qui peut permettre à notre pays de dépasser la logique archaïque de la Caisse de compensation qui fait que ce ne sont pas les plus pauvres qui profitent ou bénéficient des subsides de la Caisse. Le programme de l'USFP a proposé un chiffre pour l'aide frontale liée à la régularité de la scolarisation des enfants des familles les plus démunies dans le cadre de la logique dont je viens de parler. Vos détracteurs vous reprochent de rester vagues concernant le financement de ces projets. Qu'en dites-vous ? J'avoue que jusqu'à maintenant, je n'ai pas encore lu une critique sérieuse, crédible et fondée à l'encontre de notre programme. La question du financement des projets était bien sûr présente lors de l'élaboration. Elle est fondée sur la dynamique de notre économie et avant tout sur une amélioration tangible du taux de croissance mais aussi sur les moyens que possède aujourd'hui l'Etat et qu'il n'avait pas auparavant pour pouvoir intervenir conséquemment dans le financement des grands projets structurants de notre économie. Depuis deux ans, nos recettes fiscales augmentent de plus de 15%. Je vois aussi que les charges qui étaient destinées à l'assainissement des établissements publics, des établissements financiers, du système de retraite… vont baisser en termes absolus et relatifs. Les Etablissements publics marocains ont dans leur grande majorité un surplus et sont devenus le moteur de l'investissement dans notre pays. Les entreprises privées investissent plus et on le constate par la nette progression des crédits à l'économie. L'attractivité du pays pour l'investissement étranger s'améliore. Le poids de la dette de l'Etat baisse et va continuer à baisser. Tout ceci crée des moyens plus grands et plus sûrs de financement de l'économie. Je souhaite et j'espère qu'il y ait une amélioration au niveau de l'environnement régional. Notamment une amélioration des performances de l'économie de notre principal partenaire, l'Union européenne. Au niveau de l'environnement maghrébin, je l'espère aussi. Je crois que la maîtrise des secteurs d'accompagnement et principalement l'énergie va permettre aussi de réduire les charges de notre facture pour ce secteur. Mais généralement, nous devons gagner le challenge de la diversification de notre système productif par l'émergence de nouveaux secteurs et de nouvelles filières que ce soit dans l'industrie, le tourisme, l'agriculture. Depuis le premier gouvernement de Youssoufi, vous parlez beaucoup de la réduction de la dette extérieure alors que certains milieux sont sceptiques quant aux chiffres que vous avancez. Que répondez-vous ? Je ne comprends pas ce scepticisme que vous affichez parce qu'en la matière les chiffres sont là. Ils sont clairs et fondent un optimisme objectif. D'ailleurs, on ne pouvait pas améliorer notre rating à deux reprises cette année-ci par les grandes agences internationales si on n'avait concrètement pas diminué le niveau de notre dette. La dette du Trésor avec 330 MMDH, c'est-à-dire dette intérieure et dette extérieure, ne constitue que 57% du PIB à fin 2006 contre 67% en 1998. En plus, notre dette est devenue qualitativement plus intéressante. Elle est surtout interne alors qu'elle était auparavant externe. Ses conditions financières se sont nettement améliorées. Bref, la question de la dette n'est plus un problème pour notre pays, ni par ses montants ou encours, ni par ses maturités et encore moins par ses charges. Cela fait 10 ans que vous êtes à la tête du ministère des Finances. Si l'on vous demandait de dresser votre bilan personnel ? Le bilan n'est pas nécessairement personnel. Le ministère des Finances est un ministère d'accompagnement. C'est le bilan du «Team Maroc» depuis 1998 sous la direction et l'orientation clairvoyante de Sa Majesté le Roi. C'est le bilan de l'équipe gouvernementale et c'est le bilan de l'équipe du ministère des Finances. Je suis fier d'avoir servi et travaillé au sein de ces trois équipes parce que je crois à l'esprit d'équipe et parce que les résultats ont été tout simplement très positifs. • Propos recueillis par Mohammed Boudarham mailto:[email protected] et Atika Haimoud mailto:[email protected]