Tanger. Le café El hafa marque la mémoire collective de la ville et reste parmi les lieux les plus visités de la cité du détroit. Baignés par un radieux soleil printanier, des dizaines de clients sont attablés aux multiples terrasses du café El Hafa, sirotant café, thé, jus et autres boissons gazeuses et profitant de la superbe vue panoramique qu'offre ce lieu sur le détroit de Gibraltar. Situé plus précisément à Hafat Bouâjaj, le café El hafa est un lieu mythique «plein de charme et d'histoires». Ce café a été construit en 1921 par un certain Ba Mohamed. Les clients s'asseyaient alors sur de simples nattes en paille (Lahsour) pour prendre leur consommation et profiter du beau paysage où la mer se conjugue avec la verdure. «Ba Mohamed avait une forte personnalité et ses habits traditionnels, plus particulièrement son sarouel blanc et son tarbouche rouge lui donnaient un charme particulier. Tanger était ville internationale et Ba Mohamed avait l'habitude de recevoir dans son café de grandes personnalités comme les regrettés Meki Nassiri et Hassan Ouazzani», confie Abderrahman, l'actuel propriétaire du café El hafa. Abderrahman qui avait travaillé dans son jeune âge comme employé chez Ba Mohamed, explique avec nostalgie que l'ambiance au café El hafa «était chaleureuse, respectueuse et d'une convivialité spécifique et unique». Les employés et serveurs de ce café dont certains ont travaillé sous les ordres de Ba Mohamed, gardent toujours le même esprit avec la même affabilité et la même chaleur dans l'accueil des clients. Disponibles et souriants, ils se portent volontaires pour expliquer aux visiteurs les particularités de ce site et les aident même à prendre des photos. Ils essayent de garder les habitudes de l'ancien maître du café et se servent encore de quelques ustensiles hérités de son époque glorieuse comme les bouilloires. «Comme au temps de Ba Mohamed, nous préparons toujours le thé avec beaucoup de menthe et nous y rajoutons des fleurs d'orangers et d'autres plantes qui donnent une saveur particulière à nos boissons chaudes», précise Ba Abderrahmane El Akel, le plus ancien employé du café qui avait fait son baptême de feu sous la houlette de Ba Mohamed. De nombreuses personnalités politiques et artistiques sont passées par ce café dont, entre autres, les Beatles, Jean Genet, Randy Weston, Paul Beaules, Tahar Ben Jelloun, Jilali Ferhati, Mohamed Choukri, Bachir Skirej et autres. «Ce café a été aussi pendant un certain moment un lieu de prédilection pour le tournage des films étrangers, ce qui a fait sa renommée à travers le monde», indique Ba Abderahmane El Akel. Comme par le passé, le café El hafa continue d'être fréquenté par toutes les couches sociales, jeunes et moins jeunes. Les gens préfèrent venir y prendre leur petit déjeuner ou leur goûter de fin d'après-midi composé d'un bol de “Bissara“, du pain complet et d'un verre de thé. «Personnellement, je trouve que le café El Hafa est un lieu respecté pour sortir en famille ou rencontrer des amis. Il n'a jamais été un fumoir pour la consommation de haschish. D'ailleurs, c'est un patrimoine commun et les gens ont droit d'y venir pour profiter du beau paysage et de rêver de la vie sur l'autre rive de la Méditerranée», souligne le président de l'Association Tanger région culturelle (ATRAC), Larbi Rmiki. Comme tous les Tangérois, M. Rmiki a l'habitude de venir chaque matin dans ce café «pour profiter du paysage et lire tranquillement les journaux». Par ailleurs, les membres de certaines ONG et de la société civile se sont élevés contre les changements qui, selon eux, n'arrêtent pas de défigurer le site du café El hafa. C'est le cas du président de l'association Al Boughaz, Rachid Taferssiti, qui avec quelques militants associatifs, s'est mobilisé pour sauver et sauvegarder les monuments historiques de la ville en cours de dégradation ou de disparition dont le café El Hafa. Il rappelle que Ba Mohamed «a refusé plusieurs offres pour la vente de son café qui est un patrimoine commun appartenant à la population tangéroise». «Le charme de ce lieu réside dans la vétusté du lieu et du mobilier», a-t-il poursuivi, avant de faire remarquer que les tables et chaises en plastiques ne cadrent pas avec l'âme de ce lieu. Pour M.Taferssiti, «les constructions et les travaux d'extension autour du café El Hafa ont contribué à la défiguration du site et empêchent progressivement les visiteurs de profiter de la belle vue sur Gibraltar comme ce fut le cas jadis».