Au lendemain de la réunion de la commission d'évaluation censée fixer le prix minimum pour la cession de la Comanav, le P-dg de la compagnie, Taoufik Ibrahimi, explique les différentes implications entre la réforme portuaire et la privatisation de la compagnie. Entretien. ALM : La dernière proposition du ministre de l'Equipement et des Transports confie à la Comanav la formation de la future société concurrente à la SODEP au port de Casablanca. Qu'est-ce qui a motivé cette décision ? Taoufik Ibrahimi : Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette décision, un petit retour en arrière est nécessaire. En décembre 2005, le Parlement marocain a voté la loi 15-02 relative à la réforme portuaire. Ce nouveau cadre juridique destiné à mettre à niveau les ports marocains et à réduire les coûts logistiques entrera en vigueur le 5 décembre 2006. Avant la mise en œuvre de cette réforme, les opérations portuaires étaient caractérisées par une dualité de la manutention. D'une part, l'ODEP exerçant un monopole sur la manutention à terre et d'autre part les stevedores privés assurant la manutention à bord des navires.L'un des premiers objectifs de la loi 15-02 est d'instaurer l'unicité de la manutention et de mettre en place un système concurrentiel autour de deux opérateurs : la SODEP et la société issue du rapprochement des stevedores privés. Dès lors, une répartition des portefeuilles d'activités permettant une viabilité économique des deux opérateurs s'est avérée nécessaire. Dans cette dynamique, un accord de principe est intervenu entre les stevedores pour former un consortium (Consorport) et entamer dès avril 2006 les négociations avec les autorités de tutelle au sujet du périmètre à concéder à ce futur opérateur privé. Ces négociations ont révélé des divergences de points de vue entre les membres du consortium par rapport aux différentes propositions faites par le ministère de l'Equipement et des Transports. Aujourd'hui, ces divergences sont-elles dépassées ? En réalité, ces divergences ont mené à un blocage. La Comanav considérait que les propositions du ministère constituaient une base acceptable de négociation. Un point de vue que ne partageait pas notre partenaire IMTC. Compte tenu de cette situation, les pouvoirs publics ont saisi individuellement tous les cinq stevedores opérant au port de Casablanca, les invitant à se positionner officiellement par rapport aux propositions ministérielles. Trois des cinq stevedores (Manuco et UDEMAC -deux filiales de la Comanav- et LCE) ont répondu favorablement, acceptant ainsi de poursuivre les négociations sur la base des propositions du ministère. Les deux autres stevedores (TANC –filiale d'IMTC- et EMM) ont rejeté les offres du ministère et se sont ainsi volontairement retirés du processus. C'est ainsi que les pouvoirs publics ont décidé de confier à Comanav la mission de mener à son terme le processus de réforme portuaire. Compte tenu du rejet de l'offre ministérielle de la part de certains de vos partenaires, quel est l'avenir de Consorport ? Les cinq stevedores, n'ayant pas de positions communes dans ce processus, le projet Consorport est abandonné. En revanche, la volonté de regrouper les stevedores ayant accepté de poursuivre le processus sera concrétisée à travers la formation de Somaport (dont la Comanav sera le fondateur et chef de file), la future entité concurrente de la SODEP. Cette société sera dotée dès sa constitution d'un capital de 100 millions dirhams, pour faire face aux 600 millions de dirhams d'investissements à l'horizon 2009. Ceci étant, si les stevedores TANC et EMM adhèrent au projet Somaport tel qu'il a été arrêté, la Comanav sera ouverte pour évoquer avec eux une éventuelle intégration dans le tour de table. Serez-vous opérationnel d'ici le 5 décembre ? Nous mettrons tous les moyens en œuvre pour respecter ce délai. Même si les négociations ont été très consommatrices en temps, les réflexions autour du volet opérationnel post 5 décembre sont désormais entamées et bien avancées. A ce stade, notre business-plan est arrêté et la convention de concession et le cahier des charges sont finalisés. Des études viennent d'être lancées pour déterminer l'organisation à mettre en place,les travaux d'infrastructures et de superstructures à réaliser, et les équipements à commander pour garantir le niveau d'activité optimal. Nous veillerons à ce que cette nouvelle société ait des terminaux modernes, offrant des caractéristiques techniques et opérationnelles conformes aux standards internationaux. Par ailleurs, vu les délais nécessaires pour la mise à niveau des terminaux concédés, l'acquisition des équipements et la formation du personnel, des discussions sont en cours avec la SODEP et l'ANP pour déterminer le mode de gestion de la période transitoire qui est nécessaire pour les deux futurs opérateurs. Garantir le travail pour près de 1090 personnes, dont 780 dockers, comme l'a déclaré la tutelle ne sera-t-il pas lourd pour Somaport ? Bien que le business-plan initial de Somaport soit basé sur un effectif de 650 personnes, l'ensemble de la population dont vous avez parlé sera pris en charge par Somaport. Pour ce faire, et afin de préserver la viabilité de cette nouvelle société, l'Etat s'est engagé, sans réserve, à garantir la pérennité de l'emploi et des droits acquis de l'ensemble de cette population. Quelles sont les répercussions de ce processus sur l'opération de privatisation de la Comanav ? Les répercussions de cette réforme ne peuvent être que positives sur la privatisation. En terme de valorisation, devenir numéro deux des opérations portuaires au Maroc ne peut qu'être positif pour la Comanav. D'autant plus qu'il s'agit là de la concrétisation d'un axe stratégique initié dès 2003. Par sa présence à Tanger Med et son positionnement au port de Casablanca et après dans les autres ports du Royaume, la Comanav devient de facto un opérateur portuaire de référence et consolide ainsi sa maîtrise de la chaîne logistique. Concernant la privatisation, êtes-vous dans les délais ? La privatisation interviendra, je l'espère, durant le premier trimestre 2007. Ce processus a démarré en mars 2006 par un audit de privatisation suivi de l'évaluation de la société. Les commissions d'évaluation et de transfert statuent actuellement sur les modalités de cette opération de privatisation. L'appel d'offres international devrait être lancé d'ici la fin du mois de décembre et on devrait ainsi connaître l'adjudicataire avant la fin mars 2007. Quel est le scénario de transfert retenu ? Cette décision est du ressort de la commission de transferts dont les conclusions seront rendues publiques très prochainement. Trois principaux scénarii sont envisageables : Le premier scénario consisterait en la cession des parts de l'Etat et de l'OCP, soit 52%. Une autre solution viserait à englober, dans la cession, les parts de la CDG, soit en tout, 76% du capital. En sachant que le Groupe BMCE BANK, actionnaire privé de la Comanav, n'a pas encore annoncé sa position définitive, on peut imaginer un troisième scénario englobant tout ou une partie de ses actions. Ainsi, la cession pourrait porter sur 100% du capital. Avez-vous des échos des repreneurs potentiels ? En attendant la conclusion des travaux de la commission d'évaluation et la fixation du prix minimum, il est encore prématuré de parler de candidats potentiels. Ceci étant, tous les acteurs majeurs du secteur du transport maritime aussi bien internationaux que nationaux ont d'ores et déjà clairement affiché leur intérêt pour une telle opération. Justement, que vaut la Comanav, cinq ans après son plan de redressement ? C'est une question à adresser à la commission d'évaluation dont je ne suis pas membre. Mais aujourd'hui, nous pouvons dire qu'au terme de plusieurs étapes, nous sommes désormais prêts pour la privatisation. Il s'agit d'un processus entamé depuis 2001, année où la situation de la compagnie était difficile et presque compromise avec un chiffre d'affaires de 880 millions de dirhams et un résultat net de -300 millions de dirhams. Dès août 2001, nous avons mis en place un plan de sauvetage drastique basé sur quatre mesures dont une augmentation de capital de 150 millions de dirhams et un plan social. A partir de 2003, nous nous sommes engagés dans une deuxième étape avec un plan de relance opérationnelle et financière et notamment de nouveaux investissements (acquisition de navires), et le “lease-back“ du siège pour 75 millions de dirhams. Une réflexion stratégique qui a été engagée au sein du groupe sur la nature des activités de la Comanav, sur leur devenir, a été déclinée en trois volets : • Le renforcement de l'activité classique du «fret» ; • La redéfinition de l'activité «transport de passagers», avec la mise en place de nouveaux services avec une déclinaison touristique ; • Le développement des activités portuaires, un axe prioritaire et où le potentiel de développement était énorme. Je dois dire, que sur la base de cette stratégie, nous avions commencé à préparer la réforme portuaire bien avant l'heure. • Propos recueillis par Atika Haimoud mailto:[email protected] et Adam Wade mailto:[email protected] La Comanav en chiffres : Pour les résultats financiers du Groupe la Comanav enregistrés en 2005, voici les principaux indicateurs : • Chiffre d'affaires : 2,1 milliards de dirhams ; • Excédent brut d'exploitation (EBE) : 265 millions de dirhams; • Résultat d'exploitation : 153 millions de dirhams ; • Résultat net : 90 millions de dirhams ; • Total bilan : 2,4 milliards de dirhams ; La feuille de route d'une compagnie A l'arrivée de Taoufik Ibrahimi en août 2001 à la tête de la Comanav, l'entreprise se trouvait dans une situation très difficile. Un plan d'urgence a été ainsi mis en œuvre par ce nouveau management pour rétablir les équilibres de l'entreprise. Chronologie : 2001 : Le chiffre d'affaires réalisé par la Comanav n'était alors que de 850 millions de dirhams et le résultat opérationnel était négatif, s'établissant à - 60 millions de dirhams. Les problèmes financiers se doublent alors que les problèmes stratégiques empêchent l'entreprise de consolider ses activités dans les secteurs «transport de marchandises» et «transport de passagers». 2001 à 2003 : Durant cette période, le management a mis en place un «plan de sauvetage drastique» avec une augmentation de capital de 150 millions de dirhams dans le cadre d'un contrat-programme Etat-Comanav. Dès 2003, le chiffre d'affaires progresse de plus de 430 millions de dirhams, soit plus de 40%, notamment grâce à l'acquisition de Limadet. L'EBE enregistre une augmentation de 114 millions de dirhams, passant ainsi à près de 100 millions de dirhams avec un résultat net redevenant positif (40 millions de dirhams), après 10 ans de résultats négatifs. 2003 à 2005 : A partir de 2003, on assiste à la mise en place d'un plan de relance opérationnel et financier visant 4 objectifs principaux : • Construire un leader du «transport de passagers» à vocation régionale avec l'acquisition de 5 nouveaux car ferrys ; • Consolider l'activité «transport de marchandises» en se rapprochant de grands opérateurs internationaux à travers la mise en place de partenariats stratégiques et opérationnels ; • Développer l'activité «opérations portuaires» en préparant Tanger Med et la réforme portuaire ; • Préparer la compagnie à la privatisation.