Des centaines de milliers de Marocains ont bravé, hier matin à Casablanca, les fortes chaleurs pour exprimer leur solidarité avec le peuple libanais, en proie depuis plus de trois semaines à une guerre d'extermination méthodique et barbare menée par l'armée israélienne Atmosphère très peu ordinaire à Casablanca, dimanche 6 août 2006. La place de la Victoire, point de départ de la marche de soutien au Liban et à la Palestine, a retrouvé des couleurs en ce jour non ouvrable. Les couleurs nationales tutoyaient celles du pays du Cèdre, du Hezbollah, de la Palestine, et plus encore celles de l'Irak. Le déferlement impressionnant des foules a, en outre, donné plus de relief à la place. On pouvait, de temps en temps, apercevoir des cortèges de manifestants arrivés, en rangs dispersés, de différents horizons de la mégalopole pour se joindre aux présents qui ont déjà pris «position» sur la place de la Victoire, en attendant, impatiemment, le coup d'envoi prévu à 10 heures. A 9h30, un groupe de figures connue a ouvert la marche. En première ligne, des hommes et femmes politiques se tenant les coudes avancent d'un pas ferme. «Nous sommes ici pour revendiquer l'arrêt immédiat de l'agression militaire israélienne sur les peuples libanais et palestinien», plaide Nezha Skalli, membre du bureau politique du PPS. Même tonalité chez Mohamed Moujahid, SG du Parti socialiste unifié (PSU): «Cela suffit que des civils sans défense payent de leur vie les conséquences de la politique agressive de l'Etat hébreu, en collusion avec les Etats-Unis», a-t-il décrié, ajoutant : «la marche d'aujourd'hui a pour objectif de rallier toutes les forces vives de la nation à la cause de la paix ; la grande foule réunie ce matin, a-t-il certifié, est la traduction de ce désir de paix». Un choix civilisé exprimé par des centaines de milliers de manifestants, qui s'étaient rencontrés pour dire, d'une seule voix : «Non à l'extermination des civils sans défense». «Le peuple marocain a toujours défendu les causes justes ; la manifestation qui se déroule aujourd'hui n'est pas un fait exceptionnel, elle traduit l'engagement légendaire d'un peuple aux côtés des peuples opprimés, que ce soit en Irak, en Palestine, au Liban, ou ailleurs», nous dit Wassef Mansour, ministre plénipotentiaire de l'ambassade de la Palestine à Rabat. Et d'ajouter : «Cette marche a pour objectif de demander, également, aux Etats-Unis, et à d'autres Etats satellites, de cesser de pratiquer la politique de deux poids deux mesures ; il est hypocrite de clamer, d'une part, le respect des droits de l'Homme, et de l'autre les fouler, par la suite, aux pieds; les peuples du monde en ont aujourd'hui assez de cette discrimination criarde». Pour le responsable palestinien, le silence complice des régimes y serait également pour beaucoup dans ce jeu de massacre. L'indignation des peuples en général tranche, en effet, avec les silences officiels. L'Organisation des Nations unies (ONU) est épinglée pour avoir observé un silence coupable sur le massacre qui continue de se dérouler au Liban et en Palestine. Face à la démission du « machin», qualifié à juste titre d'«UN-able» (Incompétent), les peuples ont recours à des symboles très forts pour meubler le vide. Ce dimanche matin, les manifestants ont brandi des pancartes et des banderoles portant des effigies de grandes figures de l'anti-impérialisme américain, tels que Che Guevara. Autre symbole à avoir été affiché, une image de Roche Corrie, militante américaine des droits de l'Homme morte écrasée par un bulldozer israélien. Au-delà des icônes, on pouvait constater sur des autocollants, ainsi que sur des t-shirt, des slogans dénonçant le terrorisme d'Etat pratiqué par Israël et son tuteur américain. Marquée par la présence de politiques, d'acteurs de la société civile, la marche de ce dimanche s'est démarquée également par la présence du barreau du Maroc, de la Coalition marocaine pour l'art et la culture, d'une délégation de la communauté marocaine à l'étranger, de plusieurs centrales syndicales… Cette marche, qui fait suite à plusieurs autres manifestations de soutien, ne sera ni l'aboutissement ni le couronnement d'une action de solidarité inscrite dans la durée. «Cette marche n'est que le point de départ de plusieurs autres actions en faveur de la lutte palestino-libanaise contre les forces d'occupation israéliennes», nous a indiqué un organisteur. «La bataille ne fait que commencer», a-t-il ajouté. Dire les vérités, même si elles dérangent Les extrémistes sionistes s'affrontent pour le plus grand bénéfice de Bush et de ses amis. Depuis que la droite israélienne a tué Rabin et le processus de paix, les territoires palestiniens sont livrés, sans retenue, à la violence d'une armée d'occupation sioniste, alors même que l'on semblait «négocier» une paix durable. Sharon et ses successeurs ont décidé de prendre des terres en Cisjordanie sans négocier avec le peuple palestinien. C'est pourquoi ils avaient enfermé Arafat dans sa résidence, refusé toute négociation sérieuse et réoccupé la Cisjordanie. Ils ravagent Gaza lorsque cela leur convient et à présent, massacrent au Liban. Résultat : depuis dix ans la perspective de paix est annulée et seuls s'affirment, des deux côtés, les extrémistes qui tournent le dos à la négociation et même à la simple reconnaissance de l'autre. C'est ainsi que les réalistes de Fatah ont été écartés du pouvoir palestinien… Dans ces conditions les Islamistes ont toute latitude pour appliquer leur politique de haine des juifs, où qu'ils se trouvent, engagés qu'ils s'affirment dans une guerre de longue durée. Les dirigeants israéliens de droite, encouragés par la politique de Bush en Irak et au Moyen-Orient, s'enfoncent dans des opérations de guerre à Gaza contre le Hamas, et tombent têtes baissées dans un sanglant filet préparé et tendu par le Hezbollah au Liban. Ils tuent des centaines de malheureux libanais et palestiniens. Peut-on encore rêver de retour à la négociation ? Les extrémistes ont-ils seuls la parole ? Pour ma part, je me refuse à le croire et, avec tous les hommes de bonne volonté, je souffre de toutes ces morts qui frappent les deux peuples les plus proches du monde par l'histoire et la culture, des peuples dont les religions sont les plus semblables, et qui doivent, coûte que coûte, parler au lieu de tuer, pour finalement s'entendre. Arafat et Rabin l'avaient bien fait… • Par Simon Lévy Professeur