Préfet de Marrakech, Mohamed Badda est un homme qui ne laisse pas indifférent. Certains sont agacés par sa conception de la sécurité alors que d'autres apprécient sa façon d'agir. Une voiture s'arrête au feu rouge. Le conducteur lance sèchement à un jeune motocycliste en le regardant droit dans les yeux : «Pourquoi ne portes-tu pas le casque?». La réplique fuse immédiatement : «Cela ne te regarde pas». L'auteur de cette réponse du tac au tac est loin de penser que la personne qui vient de l'interpeller sur l'infraction dont il s'est rendu coupable n'est autre que le préfet de police de Marrakech. Des scènes de ce genre, qui tournent souvent à l'accrochage verbal entre le préfet et des citoyens, sont devenues légion dans la ville ocre non habituée à cette manière de travailler introduite par Mohamed Badda. Récemment, ce dernier s'est lancé au volant de sa voiture dans une course-poursuite d'une mobylette en plein centre-ville. Pas de casque sur la tête, habillé en «gandoura» immaculée, le conducteur ne s'est pas arrêté, continuant sur sa lancée à toute allure, avant de prendre sur une petite ruelle en sens interdit. Là, il chute de sa moto et se blesse à la jambe. M. Badda sort de son véhicule et commence à l'admonester. Ironie de l'histoire, le préfet est tombé cette fois-ci sur un brigadier de Sidi Youssef Ben Ali ! Tenant tête à son supérieur, se disant victime d'une “tentative d'assassinat“, il n'a pas voulu se relever réclamant l'arrivée des policiers pour dresser un constat. Le PV sera finalement établi! Mohamed Badda est un gradé de la police pour le moins exceptionnel. Certains sont agacés par son comportement de Shérif, voire de justicier, d'autres, par contre, apprécient sa façon d'intervenir sur le terrain. Une chose est sûre : le tout-Marrakech ne parle que de lui et de ses méthodes spectaculaires alors qu'il a pris ses nouvelles fonctions, il y a moins de six mois, en remplacement de Brahim Oussirrou qui avait, lui, une façon de faire plus discrète. C'est que M. Badda, un vieux routier de la Sûreté nationale, ne conçoit pas sa mission “en poste assis“ dans un bureau climatisé en train de donner des instructions à ses collaborateurs des différents commissariats de la cité. Muni de son talkie-walkie qui ne le quitte presque jamais, il adore faire lui-même le policier sur la voie publique, toutes sirènes hurlantes, de jour comme de nuit, en traquant les atteintes au code de la route. Au point que cette situation commence sérieusement à exaspérer tout le monde dans la ville ocre. Y compris les autorités locales et élus qui déplorent en privé une absence de coordination des affaires de sécurité. Mais M. Badda, qui a été pendant longtemps chef du secrétariat de l'ex-patron de la DGSN Abdelhafid Benhachem, ne prête pas trop attention aux critiques. «En travaillant sur le terrain, nous explique-t-il, j'agis en amont, dans un esprit de prévention et non de répression et pour éviter aussi l'accumulation des plaintes dans les commissariats et les tribunaux». Il ajoute : «J'imagine que mon action gêne beaucoup de gens mais c'est ainsi que je considère ma mission». Voilà, M. Badda croit dur comme fer que sa stratégie est efficace. Et rien ne le met hors de lui que de constater, à chaque fois, que ses troupes, que ce soit les cadres gradés ou ceux rivés en bas de l'échelle, ne le suivent pas dans son rythme. Tel commissaire rentrant chez lui à minuit ou tel autre demandant à prendre un petit congé, cela lui est insupportable et il le crie haut et fort, revendiquant une mobilisation totale, un engagement de tous les instants. «Moi, deux heures de sommeil me suffisent, je dors de 5 à 7 heures et je me lève du bon pied», affirme-t-il aux récalcitrants. La franchise est un autre trait de caractère de Mohamed Badda. Ce parfait francophone, qui espère obtenir le grade de préfet avant d'être atteint par la limite d'âge en 2007, n'est-il pas entré en conflit direct, du temps où il était chef de Sûreté de Mohammédia, avec le préfet de Casablanca Bouchaïb Rmaïl ? Motif: le premier refusait de travailler sous les ordres du second. Le clash s'est produit et M. Badda sera nommé préfet de la ville de Kénitra avant de se voir retirer le commandement pour être désigné patron de la sécurité publique à la DGSN. Le voilà de nouveau préfet de Marrakech. Tel est Mohammed Badda, un homme d'expérience, une bête de travail aussi, qui prend trop à cœur son devoir de premier responsable de la police de la perle du sud. Un peu trop peut-être.