La formation du nouveau gouvernement israélien pose à Ehoud Olmert de nombreux problèmes. Sa mission n'est pas facilitée par les exigences, fluctuantes, du dirigeant travailliste Amir Peretz. A l'exception du Likoud, tétanisé par son revers électoral, et du Shinouï, éliminé de la Knesset où il avait compté 14 députés, les principaux partis politiques israéliens estiment tous être en mesure de peser, d'une manière ou d'une autre, sur la formation du futur cabinet. Nouveau venu, le Parti Gil, dit des retraités, est âprement courtisé par Kadima et par l'Avoda (Travaillistes), au même titre que la formation d'extrême-droite russe Israël Beitenou d'Avigdor Liberman qui a conforté son audience, ou le Shass qui a maintenu, à la surprise générale, ses positions. Le fait qu'aucun parti ne dispose de la majorité absolue et que Kadima n'ait remporté que 29 des 45 sièges qui lui étaient donnés par les instituts de sondage, a incité le leader travailliste Amir Peretz à tenter sa chance, Dans un premier temps, il a ainsi annoncé qu'il se réservait la possibilité de constituer un gouvernement en s'appuyant sur Israël Beitenou, le Shass, l'Ihoud Léoumi-Parti national religieux et Yahadout Hatorah, une formation harédi (ultra-orthodoxe) ashkénaze, voire avec le Likoud de Benyamin Netanyahou. Cela aurait été un «cabinet de salut social» dont la tâche la plus urgente serait la mise en œuvre de mesures en faveur des catégories défavorisées. Kadima n'a pas tardé à réagir en faisant savoir, dès le lendemain, que le Shass et le Meretz (laïc) de Yossi Beilin avaient décidé de participer à la coalition dirigée par Ehoud Olmert. Dans la foulée, certains dirigeants influents du nouveau parti centriste - en particulier Avi Dichter, ancien responsable des services de Sécurité, et Tsahi Hanegbi, ex-président du Comité central du Likoud- se déclaraient favorables à l'ouverture de négociations avec Israël Beitenou et à la constitution d'un gouvernement sans la participation des Travaillistes. Une solution combattue par la «gauche» de Kadima, en particulier les anciens dirigeants travaillistes Shimon Peres et Haïm Ramon ou Méïr Shetrit, un élu d'origine marocaine venu du Likoud, plusieurs fois ministre et connu pour ses opinions modérées, notamment en matière de politique étrangère. La «sortie» d'Amir Peretz est loin d'avoir fait l'unanimité, y compris chez ses plus chauds partisans. Pour beaucoup, il s'agissait d'un geste de mauvaise humeur, une manière, pour le dirigeant travailliste, de manifester son mécontentement devant le refus d'Ehoud Olmert de lui accorder le portefeuille des Finances. Mais plutôt de lui proposer, à titre de «consolation», la Défense, poste sortant très largement de ses compétences et peu conforme à ses aspirations. En cédant à la colère et en échafaudant un projet de coalition hétéroclite, Amir Peretz a déçu. Outre la presse, tous ceux qui voyaient en lui le «Monsieur Propre» de la vie politique israélienne. Celui qui avait promis, lors de la campagne électorale, de ne jamais faire alliance avec la droite et de mettre un terme aux pratiques, révoltantes, de la cuisine politicienne. Quel écart entre ce beau rêve développé par l'homme qui rêvait d'être «l'idéologue du pays» et la réalité! Les beaux principes cédaient la place à de sordides tractations secrètes, cette «politique puante» jadis dénoncée en 1981 par Yitzhak Rabin, alors confronté aux manœuvres déloyales de son principal rival au sein d'Avoda, Shimon Peres. Toujours est-il que les éditorialistes et les analystes, quasi unanimes, ont sévèrement condamné l'attitude d'Amir Peretz et rappelé l'évidence, à savoir qu'avec seulement 19 sièges, son parti n'était pas en mesure de prétendre à la direction du gouvernement. Les choses sont alors rentrées, en apparence, dans l'ordre. Lors de conférences de presse, Ehoud Olmert et Amir Peretz ont officialisé leur volonté de parvenir à un programme de gouvernement commun. Amir Peretz, revenant sur ses précédentes déclarations, a affirmé qu'il n'avait «jamais sérieusement songé à constituer un gouvernement avec la droite», propos démentis par certains journaux qui disposent de preuves montrant que le chef travailliste n'est pas « l'idéologue sans reproche» qu'il se flatte d'être. Si les Travaillistes semblent, finalement, avoir accepté le portefeuille de la Défense, moyennant l'engagement pris par le futur Premier ministre d'un relèvement du salaire minimum et d'un renforcement du système de protection sociale, ils n'en continuent pas moins à affirmer que leur participation au gouvernement dépend des circonstances et des concessions qui leur seront faites. «Nous pouvons aussi être dans l'opposition», ont opportunément martelé certains ténors de l'Avoda. Pourtant, comme le fait remarquer le grand reporter d'origine marocaine de Haaretz, Daniel Bensimon, «Olmert et Peretz sont deux facettes, symétriques et complémentaires, de la société israélienne. L'un est sabra (né en lsraël), l'autre un oleh (immigrant). L'un vient de Jérusalem, l'autre d'une cité de développement (Sdérot). L'un est un idéologue doctrinaire ayant rompu avec le mythe du Grand Israël, l'autre un syndicaliste épris de justice sociale, depuis toujours gagné à l'idée de la coexistence de deux Etats, l'un juif, l'autre palestinien. L'un est le représentant des élites économiques, l'autre le porte-parole des travailleurs et des exclus». En dépit de leurs différences de caractère, ils se portent, selon Daniel Bensimon, une estime réciproque qu'ils pourraient mettre utilement au service du pays pour parachever l'œuvre entreprise par Ariel Sharon. Car les électeurs ont ratifié, le 28 mars dernier, le choix du désengagement unilatéral de Gaza, prélude à un retrait plus massif de la Cisjordanie, qui pourrait être négocié avec l'Autorité palestinienne. Ou, à défaut, si aucune solution n'était trouvée avant la fin du mandat de George Bush en 2008, faire l'objet d'un vote de la Knesset. C'est parce qu'il se fixe cet objectif, pour lequel il ne dispose que de peu de temps, que Ehoud Olmert a décidé de former la plus large coalition possible. Selon un éditorialiste de Haaretz, il veut définir l'ampleur et le calendrier du futur retrait des «territoires conquis en 1967» de telle manière que «ceux qui participeront au gouvernement sachent où il veut aller». Alors que les Travaillistes hésitent encore, en laissant entendre que leur participation n'est pas «un choix obligé», Israël Beitenou (extrême droite) d'Avigdor Liberman se montre curieusement très conciliant. Son dirigeant n'exclut pas de siéger dans un gouvernement dont le programme comporterait un «retrait de la Cisjordanie» qu'il envisage au demeurant comme un «échange entre les territoires habités par les Arabes israéliens et ceux habités par les colons israéliens sur la Rive occidentale»!. Officiellement, Avigdor Liberman se déclare être le leader d'une «droite pragmatique, non d'une droite doctrinaire». Officieusement, plusieurs journaux établissent un lien entre sa modération et la réouverture par la police d'une enquête pénale le visant depuis plusieurs années. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard, font-ils remarquer, si le dirigeant d'Israël Beitenou réclame, pour prix de son ralliement, le portefeuille de la Sécurité qui lui donnerait la haute main sur les services de police ! Toujours est-il qu'interrompues ou suspendues pur les fêtes de Pessah ( la Pâque juive), les négociations en vue de la constitution du futur gouvernement vont reprendre, notamment entre Kadima et l'Avoda, condamnées à devoir s'entendre au terme de dures et difficiles négociations. Pour cela, il faudra que Ehoud Olmert renonce à son projet de constituer un gouvernement de centre-droit, réunissant une majorité de 84 députés, pour pouvoir, le cas échéant, se débarrasser des Travaillistes. De même, Amir Peretz devra exiger un gouvernement de centre-gauche, réunissant seulement Kadima, Gil (les Retraités), Avoda et le Meretz, soit 61 mandats tout juste. Cela l'amènera à continuer à réclamer le ministère des Finances et le relèvement du salaire minimum à 1000 dollars par mois!