Je doute que Fouad Ali El Himma soit le nouveau Basri, ni que le Roi ait le projet d'installer un grand vizir, mais je suis convaincu que le ministre délégué peut se défendre tout seul. Dans les années 90, le meilleur communicateur était sûrement le ministre l'Intérieur de l'époque. Sur le green, il se faisait accompagner par quelques journalistes, toujours les mêmes, leur faisait son topo et était sûr du résultat, le même papier non sourcé, avec pratiquement les mêmes mots, signé par des ténors de ces publications. C'était fort, très fort, mais d'un ridicule absolu. Ces sorties de l'orchestre comme on les appelait étaient raillées y compris par ceux qui y sacrifiaient à leur corps défendant sans rechigner et réservaient leur «Une» dès qu'un coup de fil les convoquait à Dar Salam, souvent très tôt le matin, ce qui ajoutait au désagrément des noceurs, sans pour autant les pousser à refuser. On pensait qu'il s'agissait de temps immémoriaux, que la presse est devenue adulte, libre ou tout au moins assez intelligente pour ne pas faire d'un briefing une valse à un temps. On pensait que les temps avaient changé. C'est vrai, mais pas dans le sens qu'on l'espérait. Ainsi, cette semaine, c'est le prétendu successeur de Basri qui est victime de l'orchestre. Une véritable attaque en règle où rien ne lui a été épargné. Même pas l'insulte personnelle. Khalid Jamaî dans le rôle de l'imprécateur le trouve «dénué de toute intelligence», lui qui a travaillé à ses côtés pendant, dit-il, 3 mois. C'est un scoop parce qu'au même moment, le même Jamaî était journaliste dirigeant de l'Istiqlal et nous annonçait une nouvelle classe politique c'est-à-dire lui-même. On connaît la suite. Mais on ne savait pas qu'il travaillait avec El Himma à l'époque après avoir fait le fameux voyage d'Alger avec Driss Basri. Donc, l'orchestre nouveau est arrivé. Les papiers sont de la même veine : c'est le nouvel homme fort du régime, il est responsable de tout et de tous. Si l'information est exacte, alors l'homme a des journées de 36 heures, mais là n'est pas mon propos. Je doute que Fouad Ali El Himma soit le nouveau Basri, ni que le Roi ait le projet d'installer un grand vizir, mais je suis convaincu que le ministre délégué peut se défendre tout seul. Non, moi ce qui m'étonne, c'est le timing. L'attaque généralisée n'a pas eu lieu après des élections falsifiées où un parti créé la veille rafle la mise en ayant plus d'élus que de candidats comme cela s'est passé en 1983, ni après des émeutes sanglantes, ni même une déclaration liberticide. Alors, qu'est-ce qui justifie cette sortie en orchestre philharmonique ? Apparemment rien. Sauf que quelques jours auparavant, Driss Basri avait fait une déclaration tonitruante à «Al Qods», l'homme n'est pas aigri, il est enragé, pathologiquement enragé et Fouad et ses amis en prennent pour leurs grades. C'est la même partition que reprend le nouvel orchestre. Les musiciens ont changé, les objectifs ont changé, les partitions sont dans un répertoire plus proche du rap que de la musique classique, le chef d'orchestre est toujours le même, même s'il n'a plus sa superbe ni son autorité d'hier. Cela est aussi ridicule qu'il y a 10 ans. Il serait sans intérêt si cet orchestre se limitait à de petites partitions de temps en temps, non, il nous joue une opéra quotidiennement, elle a pour nom «Rien n'a changé, c'est encore pire». Driss Benzekri, ses 18 ans de taule, son combat pour les droits de l'Homme sont traînés dans la boue, les journaux ou les hommes publics étrangers qui saluent l'IER ou les acquis du Maroc sont traités de mercenaires. A les entendre, le Maroc d'aujourdhui ressemblerait plus au Zaïre de Mobutu qu'au Maroc des années 70, à les lire cette semaine, ce n'est plus un Etat... C'est navrant, mais c'est surtout inutile. Tout ce qui est excessif est insignifiant. Le discours haineux, nihiliste, est de plus en plus virulent parce qu'il est battu en brêche par les réalités. Plus il est virulent, plus il devient caricatural et moins il a de chances d'influencer quelque secteur de la population que ce soit. C'est la marche inéluctable de l'histoire. Mais comme la transition n'est pas un long fleuve tranquille, chaque recul, chaque erreur, redonne un souffle de vie au cadavre politique qu'est l'alliance des faillis et des courants d'air. La consolidation de la construction démocratique est la seule arme contre l'orchestre de la haine et son vieux chef décati.