Les compromis idéologiques, avec ce que l'on a appelé pompeusement la spécificité, empêchent le Maroc d'accéder pleinement à la modernité et favorisent l'avancée par inertie des intégristes. Le moins que l'on puisse dire est que la classe politique ne fait pas preuve d'une grande sérénité en ce moment. Les nouveaux DRH, aussi futiles que les anciens, vous diraient qu'elle ne résiste pas au stress de la pression, en pensant à 2007. C'est une analyse très superficielle, ne serait-ce que parce qu'elle tend à accréditer l'idée que les partis préparent 2007, ce qui est malheureusement faux. Le mal est plus profond, la classe politique ne sait plus où elle habite, n'a pas d'analyse correcte de la situation. Celle-ci est effectivement très complexe, les exigences et les atouts d'une transformation sociale sont là, les pesanteurs aussi et le risque de regression absolue est une menace réelle. Le choix de la modernisation ne peut plus se nourrir de mots, de clichés, de professions de foi. Il nécessite aujourd'hui de violenter tous les conservatismes et de mettre en branle un véritable mouvement social en faveur de la modernité, qui ne peut l'être que sur la base d'un clivage contre les archaïsmes, tous les archaïsmes et la régression du mouvement intégriste. Le rapport des 50 ans, qui n'est pas un rapport du Palais, rappelons-le, nous met tous face à nos contradictions. Nous savons dans quelle direction il faut aller, ce qu'il faut faire si on a choisi Barcelone, sinon on aura calcutta, selon la formule de Driss Benhima. Un tel mouvement social a besoin d'une avant-garde des forces sociales qui y ont objectivement intérêt. Objectivement au Maroc, aujourd'hui, le cœur de cette avant-garde ne peut-être que la gauche autour de l'USFP. Oui l'USFP a la double charge historique de faire barrage à l'Islamisme et d'être la force motrice de la modernisation sociale. Cela commence d'abord par la clarté. Tous les compromis, même ceux qui ont été nécessaires à un moment de l'histoire, sont aujourd'hui de véritables boulets. Les compromis idéologiques, avec ce que l'on a appelé pompeusement la spécificité, empêchent le Maroc d'accéder pleinement à la modernité et favorisent l'avancée par inertie des intégristes. Ce n'est qu'en affichant pleinement ses convictions que la gauche pourra assumer son rôle. D'un autre côté, elle ne pourra mobiliser que si elle trouve une réponse à la question sociale et si elle s'investit totalement dans le démantèlement du système rentier. Elle ne pourra le faire que si elle met la femme au centre de la transformation sociale, en commençant d'abord par unifier les associations au lieu de garder chacun sa boutique. Enfin tout cela doit être reflété par un programme clair, chiffré portant engagement devant le peuple. Mohamed Elyazghi a raison de dire que ceux qui nous annoncent le raz-de-marée intégriste prennent leurs désirs pour des réalités. L'USFP peut gagner ce combat à condition… Pour ceux qui sont sceptiques, je rappellerai seulement le cas de l'Espagne. Le PSOE n'a été créé que quelques mois avant la mort de Franco par l'Union de groupes de gauche squelettique. Il restera comme le parti qui a modernisé l'Espagne. Il a «offert» aux Espagnols un projet résolument moderniste, l'Europe a aidé mais le projet était là. Or, quel était l'état de la société espagnole en 75 ? Hyper-conservatrice, religieuse marquée par l'Opus Dei, pauvre avec une paysannerie archaïque dans tous les sens du terme. Quelques années plus tard, le processus de modernisation permettait l'émergence de la «Movida» avec les conséquences libératrices que l'on sait. C'est à cet immense chantier qu'est appelé, la gauche marocaine, d'autant plus qu'elle a un atout énorme : ce projet-là est aussi celui de la monarchie : les petites diversions apparaissent comme des mesquineries face à l'époque historique et ses exigences. La gauche saura-t-elle prendre de la hauteur et affiner un projet mobilisateur, clair, engagé, social, son projet ? C'est sur cela que l'histoire la jugera pas sur les manœuvres ou sur son passé, aussi glorieux soit-il. Les forces sociales pouvant appuyer ce projet existent, généralement elles ne votent même pas à cause de l'absence de clivage. La vieille garde le sait, c'est le clivage qui fait la mobilisation pas le consensus mou, et c'est aux projets que les peuples adhèrent pas aux bilans, surtout quand ceux-ci sont maigres.