L'Instance Equité et Réconciliation (IER) vient de rendre publics des extraits de son rapport sur les violations des droits de l'Homme au Maroc. Mohamed Sebbar, président du Forum Vérité et Justice (FVJ), livre son point de vue. Entretien ALM : Quelle lecture faites-vous du rapport de l'IER sur les violations des années de plomb au Maroc ? Mohamed Sebbar : J'aimerais préciser que ce qui a été publié et diffusé à travers la presse ne constitue pas le rapport final de l'IER. Ce qui a été rendu public jusqu'à présent n'est qu'un résumé dudit rapport. Nous ne pouvons pas de ce fait donner une évaluation complète de ce qui a été convenu dans ce rapport avant d'en avoir pris connaissance en intégralité. Ceci dit, d'après les quelques titres de ce qui a été publié jusque-là, il y a certains points qui n'ont pas été clarifiés. Qu'entendez-vous par là ? J'entends par là la question de l'impunité. En aucun moment ne sont cités dans ce rapport les noms des bourreaux et dont une grande partie est connue de tous. Il faudrait que les tortionnaires soient relevés de leurs fonctions et qu'ils soient congédiés. Il faudrait également priver ces bourreaux de leurs droits constitutionnels comme celui de se porter candidats aux élections et de voter. Ou alors d'occuper de hautes fonctions étatiques. Mais l'IER n'étant pas un tribunal, juger les tortionnaires ne rentre pas dans les prérogatives de cette instance… Si les tortionnaires ne peuvent être jugés, il faudrait au moins qu'ils soient montrés du doigt et démis de leurs fonctions. C'est la moindre des choses.
Quels sont les autres reproches que vous faites à l'IER ? Dans le rapport de l'IER, on parle de renforcer l'indépendance de la Justice. Cet axe fait partie des recommandations de l'IER. Celle-ci parle de renforcement de l'indépendance de la justice « qui passe, outre les recommandations d'ordre constitutionnel, par la révision par une loi organique du statut du Conseil supérieur de la magistrature ». Or, nous savons tous que la justice n'a jamais été et ne sera jamais indépendante. Et ce pour la simple raison, le Souverain est président du Conseil supérieur de la magistrature. Cela signifie également qu'il n'y a pas de séparation des pouvoirs et donc ce serait trop prétentieux de dire que l'indépendance de la justice sera renforcée. Rejetez-vous alors en bloc l'importance de certaines recommandations publiées dans ce rapport ? Nos reproches ne nous empêchent pas de déclarer, néanmoins, que l'IER a émis des recommandations de première importance. Quelques-unes de ces recommandations méritent d'être saluées. Dans ce sens, on citera, entre autres, l'élaboration et la mise en place de politiques publiques dans les secteurs de la justice, de la sécurité et du maintien de l'ordre. Le chapitre relatif à la gouvernance des appareils sécuritaires est pertinent. Dans cette recommandation, l'IER évoque l'exigence de mettre à niveau, de clarifier et de publier des textes réglementaires relatifs aux attributions, aux processus de décision et de supervision de tous les appareils de sécurité et de renseignements. En outre, le volet concernant l'éducation aux droits de l'Homme mérite aussi d'être cité. Le rapport parle en effet du maintien de l'ordre, de l'éducation, de la formation permanente, ainsi qu'une implication active de l'ensemble de la société. Ces recommandations, si elles sont traduites dans la réalité, pourront être très utiles. Quelle estimation générale faites-vous du travail de l'IER ? Je dirais que l'IER a travaillé un peu à l'écart. La société civile n'a malheureusement pas été impliquée. Il faut aussi signaler que cette instance a été un peu trop discrète sur les bords. Elle n'a pas trop communiqué sur son travail et ses diverses missions. La seule communication étant les audiences publiques qui ont eu lieu dans différentes villes du Royaume.