L'auteure marocaine Rabiaa Marhouch a récemment publié son roman «Le cœur du volcan». Un récit dont la lecture laisse voir que c'est le personnage principal «Wilaya» qui poursuit la narration de son histoire. L'écrivaine détaille dans cet entretien les dessous de son choix par rapport à cette démarche littéraire. Elle s'explique également sur les contours de l'intrigue. Le tout en révélant ses projets. ALM : Pourquoi c'est le personnage de Wilaya qui a poursuivi le récit de son histoire jusqu'à la fin du roman ? Rabiaa Marhouch : Wilaya est un personnage malmené par la vie et qui n'a pas eu très souvent droit à la parole. Dans le récit, j'ai choisi de lui laisser de l'espace pour s'exprimer et j'ai mis en place un dispositif narratif qui permet à sa parole d'enjamber toutes les temporalités et de retentir jusqu'à la dernière phrase. Ses propos sont en réalité enregistrés par l'infirmière qui l'a interrogée sur son histoire et le cours de son existence. Et c'est cet enregistrement qu'on entend à la fin du roman et où Wilaya nous fait d'autres confidences qui permettent de mieux cerner son drame et celui du tragique existentiel de ses semblables dans une région ignorée des tambours et autres radars médiatiques de longue portée. Ses choix ou non-choix à certains moments décisifs de son parcours sont précisés. Le narrateur omniscient s'est retiré pour lui laisser le dernier mot, pour laisser sa parole surgir dans une relation directe avec le lecteur, qui devient, l'espace de quelques pages, son confident et le destinataire premier de ses ultimes révélations. Qu'en est-il de l'intérêt porté par le gouvernement à ce personnage ? Il s'est avéré qu'il n'est pas manifeste à l'égard de Wilaya malgré toutes les attentions qu'il lui a accordées... Les turbulences politiques et sociales qui secouent l'archipel des Comores sont d'abord, pour moi, un arrière-fond pour mieux comprendre les personnages et leurs déboires. Le plus important est ce que Wilaya ressent, ce qu'elle a vécu, qui l'a brisée et qui l'a conduite dans la situation où elle se trouvait, dans un huis clos infernal, à l'hôpital de Moroni. Le huis clos est aussi le contexte politique, social, géopolitique et historique de ces îles entrelacées, mais désormais divisées entre France et Afrique. La situation migratoire catastrophique entre Mayotte et les Comores est connue de tout le monde. Mais elle n'est que le point le plus politiquement incorrect et visible d'un iceberg plus complexe. J'ai souhaité mettre en avant les conséquences dramatiques de ce contexte sur les familles et les individus, dont Wilaya et sa famille sont une illustration frappante. Si dans la fiction le gouvernement comorien s'est intéressé à son cas afin de l'instrumentaliser dans la bataille de communication contre la France, cela relève simplement de la stratégie et ne peut résoudre les vrais problèmes qui secouent chaque jour ces territoires. Wilaya peut être aussi, dans une certaine mesure, une allégorie de Mayotte, cette île magnifique, délaissée par la France et convoitée par les Comores qui considèrent qu'elle leur appartient. Et dans ce bras de fer, Mayotte couve ses souffrances, comme une sous-France qui ne dit pas son nom et ses douleurs se manifestent par des conflits épisodiques et endémiques. Quel remède efficace pour régler la situation de cette île ? L'agitation autour de la malade (Wilaya et l'île de Mayotte), la négligence, le rejet d'un côté et les instrumentalisations de l'autre ne mènent nullement à l'apaisement et au salut attendu et espéré par les populations de cet archipel. Se pose aussi la question suivante : où est la voix de l'Union africaine dans ses douleurs locales héritées de l'histoire coloniale ? Auriez-vous des projets? Des projets, oui et toujours, j'ai envie de dire. Un projet d'écriture, bien sûr. Une histoire en gestation, celle d'une figure féminine forte aussi, mais cette fois pas «Du côté de chez Swann», comme dirait Proust, mais de chez moi : le Maroc ! J'ai le plaisir d'annoncer la sortie en février prochain, aux Presses universitaires de Rennes, de mon essai intitulé « Nina Bouraoui : La tentation de l'universel ». J'y mène une réflexion sur l'universalisme français et la place des auteurs dits «francophones » dans la prétendue «République mondiale des lettres» dont le centre serait à Paris.