Directeur de la rédaction du magazine «Jeune Afrique l'intélligent», François Soudan répond au dossier consacré récemment par «Le journal» aux relations entre JAI et le Maroc. ALM : Le Journal hebdomadaire a publié dans son édition numéro 223 une "enquête" sur les relations entre Jeune Afrique l'Intelligent et le Maroc. Quel commentaire faites-vous de la publication de ce dossier ? François Soudan : Il n'est pas a priori illégitime de vouloir faire d'un Groupe de presse comme le nôtre, qui existe depuis 45 ans et qui est, je crois, une institution, l'objet d'une enquête. C'est même plutôt sain, dans tous les cas parfaitement compréhensible. Encore faut-il le faire sans a priori et, surtout, avec un minimum de professionnalisme. Or, Le Journal n'a même pas pris la peine de nous contacter pour vérifier ses informations et recueillir notre point de vue. Dans ces conditions, le résultat ne pouvait être que ce qu'il a été : un tissu d'erreurs, d'approximations et d'amalgames parfois franchement comiques. Un peu naïvement sans doute, nous considérions cette publication comme un confrère comme les autres. La publication de cette «enquête» nous laisse donc perplexes : si nous avons relevé autant de fautes professionnelles dans un simple article, que valent les autres, ceux que diffuse chaque semaine cet hebdomadaire ? Manifestement pas grand chose… Vous avez adressé au Journal hebdomadaire un droit de réponse que le magazine, apparemment, refuse de publier dans son intégralité. Comment réagissez-vous à cette attitude ? Cela découle tout naturellement de ce que je viens de dire : quand on est à la fois amateur et malveillant, on l'est jusqu'au bout. A Jeune Afrique, nous nous faisons un point d'honneur de publier l'intégralité des droits de réponse que nous recevons et de nous excuser quand il nous arrive de nous tromper. C'est une question de déontologie. Connaît-on le sens de ce mot au Journal ? Comme nous n'en étions pas sûrs -c'est un euphémisme- nous avons donc décidé de publier nous-mêmes ce droit de réponse dans notre n° 2336, afin que chacun puisse en prendre connaissance. Dans votre droit de réponse, vous avez indiqué que certaines informations rapportées par l'hebdomadaire casablancais étaient totalement fausses. Pouvez-vous préciser lesquelles ? Les liens entre Béchir Ben Yahmed et le général Dlimi ; le rôle de Félix Houphouët Boigny, d'André Azoulay et de quelques autres dans la levée de l'interdiction qui, dans les années soixante-dix, frappait JA au Maroc ; la présence de Hamid Barrada au sein de notre rédaction en 1965 alors qu'il ne l'a intégrée que sept ans plus tard ; celle de Mohamed Cherkaoui comme ambassadeur du Maroc à Paris et émissaire de Hassan II auprès de Ben Yahmed en 1975 -alors qu'il avait quitté l'ambassade onze ans auparavant- etc… Tout cela est abracadabrant. Et ce ne sont que des exemples parmi d'autres. En dehors d'une petite phrase attribuée à Driss Basri, lequel se voit ainsi érigé au rang inespéré pour lui de source crédible, tous les ragots, toutes les rumeurs et toutes les citations rapportées sont courageusement anonymes. A moins qu'il ne s'agisse d'inventions ridicules, comme ce qualificatif de «grand blond normand» que m'auraient attribué mes amis. Je n'ai évidemment rien contre la Normandie ni contre la blondeur, mais mes ancêtres et moi-même sommes nés à quelque cinq cents kilomètres de cette belle région, et l'auteur de l'article, qui est manifestement daltonien, devrait consulter d'urgence un ophtalmologue. Avouez que l'affabulation vaut le détour ! Suite au refus du journal en question de publier le droit de réponse que vous lui avez adressé, vous l'avez inséré dans votre dernière édition en lui choisissant pour titre: «Leur journalisme et le nôtre». Existe-t-il plusieurs journalismes? Le titre du droit de réponse est : «Leur "journalisme" et le nôtre». Journalisme y figure entre guillemets afin de signifier clairement qu'aucun professionnel ne peut se reconnaître dans ce type de pratique. Il n'existe évidemment qu'un seul journalisme. Au vu de l'article qu'ils nous ont consacré, ce n'est apparemment pas le métier des gens qui produisent cette publication. Vous avez fait allusion dans votre droit de réponse à une certaine "obsession" chez la publication en question pour tout ce qui est de nature à porter atteinte aux Institutions marocaines. Pensez-vous que le dossier consacré à JAI entre dans ce cadre ? Pour des raisons qui m'échappent, les dirigeants du Journal ont manifestement des comptes à régler avec le pouvoir et avec la monarchie. Je me souviens pourtant d'une époque, pas si lointaine, où cet organe était fort en cour, et d'une autre, plus récente, où il intimidait en haut lieu au point que nul n'osait lui répondre. Que s'est-il passé ? Je n'en sais rien et cela ne m'intéresse guère. Ce que je constate par contre, c'est qu'en nous attaquant, ils ont aussi voulu viser le roi dont la photo figure en «cover» de cette «enquête». Malheureusement pour eux, ils se sont trompés de cible. Dans votre réponse vous avez justement fait état d'un climat paranoïaque et policier qui imprègne cette publication. Comment êtes-vous arrivé à cette déduction ? Ce climat, qu'on pourrait qualifier de «basrien», imprègne en tout cas les huit pages de cette pseudo- enquête. Il y a comme une incapacité à concevoir les choses et les faits avec une grille d'analyse qui ne soit pas celle des complots, des manipulations et du fric. Ajoutez à cette obsession du «moukhattat» le recours systématique aux ragots et la distorsion des extraits d'articles privés de leur contexte afin de les faire entrer dans un schéma pré-établi, et vous avez le parfait exemple du mauvais «journalisme arabe», tel qu'on le pratiquait dans les années soixante-dix et quatre-vingt. C'est consternant. En plus de JAI, vous avez personnellement été visé par ladite enquête. Comment considérez-vous le procédé ? Dans le contexte, il était parfaitement logique que Le Journal s'en prenne à moi, puisque je «couvre» -avec d'autres collègues- le Maroc et que je m'y rends régulièrement. Que l'on critique mes articles ne me gêne pas : il arrive à des lecteurs de le faire et nous publions leurs lettres. Mais les accusations fausses et diffamatoires qui me concernent ajoutent une touche, minable et nauséeuse, à cet article de basse police. J'y ai répondu dans JA. Est-ce que votre publication et vous-même avez l'intention d'engager des poursuites judiciaires conte Le Journal hebdomadaire? Ce n'est pas exclu, nous verrons. Si une action en justice pouvait avoir sur cet hebdo et ceux qui le font un effet pédagogique et leur apprendre les règles du métier, nous n'y verrions que des avantages. Hélas, leur cas semble bien désespéré.