Entretien avec Abdelhak Mazour Directeur de l'aéroport Casablanca Mohammed V Dans cet entretien, Abdelhak Mazour, directeur de l'aéroport Casablanca Mohammed V, revient sur les prinicipaux projets en cours et les performances attendues. Il est question surtout du lancement de la démarche LSS. Lancée il y a quelques jours par la directrice générale de l'ONDA, Habiba Laklalech, la démarche Lean Six Sigma (LSS) va révolutionner les prestations fournies aux passagers à l'aéroport international Mohammed V. La mise en place de la démarche LSS à l'aéroport Mohammed V permettra d'éliminer les pertes de temps et les activités inutiles à chaque étape du processus pour réduire au final les délais de traitement et améliorer la qualité de service tout en optimisant l'emploi des ressources. Elle concernera dans un premier temps le processus «arrivées internationales», l'objectif attendu est de réduire de 20% le temps de séjour du passager dans cette zone et la variabilité du processus. ALM : En quoi consiste la démarche «Lean Six Sigma»? Abdelhak Mazour : L'approche « Lean Six Sigma» est une démarche d'amélioration continue qui vise à optimiser la performance des processus tout en réduisant leur variabilité. La démarche consiste à chasser les gaspillages dus notamment aux tâches sans valeur ajoutée, aux tâches inefficaces, ou encore celles liées aux défauts d'organisation et de procédés. Ces deux méthodes, Lean et Six Sigma, combinées ensemble, œuvrent et convergent vers l'amélioration continue et la satisfaction du client. Pourquoi avoir choisi cette démarche? Tout d'abord c'est une démarche qui a fait ses preuves dans de grandes structures de production ou de service. Elle permet, d'une manière générale, d'améliorer la compétitivité, la qualité de service fournie, ainsi que la mise en place des mesures nécessaires à la maîtrise de la variabilité des processus. En effet, elle est également adoptée dans le domaine aéroportuaire afin de fluidifier le parcours du passager, notamment au niveau des grands hubs mondiaux. De plus, la mise en œuvre de cette démarche s'aligne parfaitement avec «Envol 2025», le nouveau Plan de transformation de l'ONDA, pour la période allant de 2021 à 2025. En effet, l'axe n°4 «Encourager l'excellence opérationnelle et environnementale dans les meilleures conditions de sûreté et de sécurité» permettra de repenser les procédures de gestion de l'aéroport dans un souci d'optimisation des délais et l'amélioration de la performance. Ainsi, son application à l'exploitation aéroportuaire, notamment au processus d'accueil des passagers permettra : D'optimiser le temps de traitement du passager international afin de réduire au minimum son temps de séjour à l'aéroport. De réduire la variabilité du temps de traitement du passager. D'améliorer le niveau de service rendu et la qualité de la prestation. D'améliorer la satisfaction du client passager. De mettre en place des outils de pilotage (indicateurs et tableaux de bord) de contrôle statistique de performance afin de détecter et traiter les non-conformités. D'améliorer la performance opérationnelle. D'améliorer l'efficacité des intervenants dans le processus. En chassant les gaspillages et la mauvaise utilisation des ressources, le «Lean Six Sigma «s'intègre également dans notre démarche de développement durable. C'est aussi une approche globale qui concerne tous les intervenants dans la chaîne de valeur du passager que sont la DGSN, la Gendarmerie Royale, l'Administration des douanes et impôts indirects, le ministère de la santé, sans oublier les compagnies aériennes et les Handlers. L'implication et l'adhésion de ces intervenants conditionnent la réussite de ce projet, dont l'objectif final est de fédérer les multiples intervenants autour d'un objectif unique et mesurable qu'est l'amélioration de l'expérience client. Enfin, c'est une approche qui permet d'instaurer, au sein de notre organisation, la culture de la mesure : «ce qui ne peut être mesuré, ne peut pas être amélioré», l'évaluation étant l'outil nécessaire pour l'amélioration de la qualité des services offerts. Comment évaluez-vous la qualité de service fournie actuellement aux clients au niveau de l'aéroport de Casablanca ? La qualité de service fournie au niveau de cet aéroport est évaluée grâce aux audits auxquels il est soumis périodiquement. Outre les audits internes, des audits externes sont menés par des organismes internationaux spécialisés dont les programmes sont reconnus mondialement. Il s'agit des enquêtes ASQ «Airport Service Quality», conduites par ACI (Airport Council International) et aussi les audits de Skytrax. Les résultats obtenus lors des audits ASQ de ACI sont très satisfaisants en comparaison avec des aéroports de la région Afrique de même capacité. Sur ce programme ASQ et selon les avis d'un grand échantillon de passagers, l'aéroport a occupé successivement durant les 3 dernières années la première place en Afrique des aéroports de sa catégorie en termes de capacité. Après ce résultat, l'aéroport a eu pour défi de se mesurer aux exigences du programme Skytrax qui audite aussi bien les aéroports que les compagnies aériennes et dont l'évaluation est plus large, plus exigeante et s'étend sur plus de 131 critères. L'aéroport a obtenu, lors de son audit en octobre 2021 par cet organisme, réputé par sa grande sévérité, un score de 3* sur une échelle de 5*. Aussitôt, un plan d'action a été établi sur la base des recommandations de l'audit pour cibler, lors du prochain audit 2022 la note 4*. Quels sont les objectifs d'amélioration attendus et à quel horizon ? Nous espérons, par la mise en œuvre de la démarche «Lean Six Sigma», réduire nettement les délais de traitement des passagers sur tous les tronçons du circuit de progression. Une réduction d'au moins 20% de temps de séjour du passager à l'arrivée est attendue. Notre objectif est de mettre en place des actions d'amélioration de cette démarche avant la saison estivale et principalement avant l'opération Marhaba 2022. La démarche sera généralisée plus tard, sur la globalité des circuits de traitement des passagers, départ et transit. Sur ce projet, et d'ailleurs sur tous les projets, nous travaillons en parfaite symbiose avec nos partenaires privilégiés intervenant dans la chaîne de traitement des passagers. Tous les projets d'amélioration sont initiés en coordination avec eux. Les prises de décision sont concertées dans un contexte de partenariat, qui valorise la contribution de chaque acteur, dans un intérêt collectif et unique, qui converge vers l'amélioration continue et la satisfaction du passager. A très court terme, nous travaillons également sur la reconfiguration de tous les accès de notre aéroport pour augmenter leur capacité, éliminer les encombrements et réduire les délais d'attente en périodes de pointe. Nous sommes aussi sur le point de mettre en service de nouveaux tapis de livraison de bagages d'une nouvelle génération, permettant aux compagnies aériennes et aux handlers de disposer d'une capacité supplémentaire et suffisante pour fluidifier leurs opérations de livraison de bagages, améliorer et réduire leurs délais de livraison, et ce, selon les standards de qualité établis et suivis par l'aéroport. Pour améliorer également la planification de nos ressources en adéquation avec le volume des opérations aéroportuaires, l'aéroport s'apprête à mettre en service un Système des opérations aéroportuaires multiplateformes (SOAM), qui optimise l'affectation des ressources aéroportuaires pour répondre efficacement aux besoins des compagnies aériennes et des Handlers dans l'objectif de satisfaire au mieux les attentes des passagers. Comment se présentent les prévisions de trafic au niveau de l'aéroport dans les prochains mois ? Depuis la reprise au mois de février 2022, l'aéroport a enregistré un taux de récupération de 70% de l'activité par référence à la même période de l'année 2019. La saison été débutera le 29 mars 2022 et donnera lieu à de nouveaux programmes de vols commercialisés par les différentes compagnies aériennes qui desservent l'aéroport. L'analyse préliminaire de ces programmes fait état d'une grande ambition de reprise de l'activité qui dépasse nos prévisions. Un taux de récupération d'au moins 90% de l'activité avant Covid-19 est attendu durant la saison estivale. Prévoyez-vous la suppression de certains contrôles au départ ou à l'arrivée des passagers pour une plus grande fluidité de trafic ? La tendance actuelle converge vers l'assouplissement des mesures sanitaires, en raison du déclin mondial que connaît la situation pandémique. Plusieurs pays européens, africains et du Golfe ont renoncé à certaines mesures de prévention telles que la PCR ou les tests antigéniques et se contentent du pass vaccinal comme mesure pour l'accès à leur territoire. Cet assouplissement des mesures permettra d'améliorer la fluidité et le temps de traitement des passagers en phase de départ. A l'arrivée, les conditions d'accès au territoire marocain exigent encore le pass vaccinal doublé d'une PCR de moins de 48h. L'assouplissement de cette mesure rendra le contrôle documentaire sanitaire auquel sont soumis les passagers plus fluide. Aussi, il faut reconnaître l'effort important des autorités sanitaires, en termes de disponibilité des ressources et de la logistique suffisante pour le traitement et le contrôle des flux croissants de passagers, dans des délais d'attente qui restent raisonnables et acceptables. L'aéroport Mohammed V vient de renouveler son accréditation AHA par le Conseil international des aéroports (ACI), que pouvez-vous nous en dire ? Face à la pandémie de Covid-19 et pour une bonne reprise du trafic aérien, l'ACI a lancé un programme d'accréditation destiné à évaluer l'alignement des aéroports sur le plan sanitaire avec les recommandations internationales de l'OACI et de l'ACI. Ce programme se base sur la réalisation d'un audit sur les mesures sanitaires déployées sur tous les processus et zones de l'aéroport. L'aéroport Casablanca Mohammed V s'est inscrit sur ce programme et s'est soumis volontairement à ces audits en 2020 après la reprise et en 2021 au mois de janvier. L'audit se fonde sur trois aspects cruciaux d'évaluation : la disponibilité des moyens de prévention en termes de logistique, d'hygiène, d'information et de sensibilisation, le contrôle rigoureux de ces moyens et les procédures de maîtrise de la mise en œuvre. Grâce à l'engagement de l'aéroport sous les directives du Top Management, le renouvellement de l'accréditation AHA a été obtenu en passant en revue tout le dispositif sanitaire déployé à l'aéroport ainsi que les procédures normalisées de contrôle et de maîtrise. Je tiens à souligner aussi, dans le même contexte, que l'aéroport a été audité en 2021 sur le plan sanitaire et pour la prévention contre COVID-19 par Skytrax et a obtenu la note 4* sur une échelle de 5*. Ce résultat corrobore et conforte les efforts consentis par l'ONDA sur un sujet aussi prioritaire que la sécurité sanitaire. Quels sont les autres projets en cours au niveau de l'aéroport ? En termes d'infrastructure, d'autres projets structurants sont mis en œuvre pour améliorer l'expérience passager, notamment le projet de construction d'une zone centrale qui augmentera la capacité de traitement des passagers à l'arrivée et en transit. Ce projet, en cours de réalisation, avec une mise en service prévue pour la fin de l'année 2022, permettra d'augmenter la capacité de la zone des formalités d'immigration et portera le nombre de postes de guichets de police à 52 au lieu de 44 actuellement. Ce qui correspond à un gain d'une capacité additionnelle de 20%. Ce gain permettra d'améliorer les délais d'attente dans cette zone et contribuera à fluidifier davantage le traitement des passagers à l'arrivée. Le même projet permettra également d'augmenter la capacité de traitement des flux de passagers en correspondance, réduira significativement les délais d'attente et minimisera les loupés de connexion par les passagers, en raison des longues distances parcourues et des durées de séjour prolongé aux postes d'inspection sûreté. Ce projet comporte également un nouveau module de traitement des passagers des vols intérieurs implanté entre le Terminal 1 et le Terminal 2. Cet édifice permettra non seulement un traitement optimal des passagers des vols domestiques mais aussi une fluidité pour la transition des passagers vers la zone de correspondance pour ceux qui sont en transit. Un autre projet qui n'est pas le moindre, est celui de l'installation de grands tapis supplémentaires pour augmenter la capacité de livraison des bagages. Un ajout de 3 tapis pour livraison bagage avec un linéaire de 300m permettra de hisser la capacité de 30%, dans la perspective d'améliorer les délais de livraison et atténuer l'encombrement dans la zone. En termes de digitalisation des opérations aéroportuaires, une série de projets est en cours de mise en œuvre. Il s'agit notamment de la mise en service d'un Système des opérations aéroportuaires multiplateformes (SOAM) intégré, construit autour d ́une base de données aéroportuaire (AODB), un système de management des ressources aéroportuaires (RMS) et une plateforme d'intégration communiquant avec les autres systèmes. Ce projet permettra d'améliorer les conditions de traitement des passagers et des opérations aéroportuaires et minimisera la perte d'information. Il s'agit aussi de la mise en place d'un Système multiplateformes au service des passagers (SSPM) (bornes d'auto-enregistrement libre-service, Self Bag Drop et application mobile) à l'aéroport Mohammed V. Il permettra d'améliorer le traitement et la qualité du service fourni au passager, d'automatiser l'enregistrement des passagers et de leur bagage et de mettre à la disposition des passagers l'information utile, en temps réel, pour faciliter leur orientation et leur progression dans l'aéroport. Et, finalement, un projet de digitalisation du processus d'échange des données avec les parties prenantes, selon le concept A-CDM (Airport Collaborative Decision Making). Ce projet permet de partager, en temps réel, les données entre tous les acteurs de la plateforme aéroportuaire pour améliorer la gestion des flux de trafic aérien et de la capacité, en réduisant notamment les délais dans les opérations au sol. Il permettra aussi l'amélioration de la prédictibilité des évènements en optimisant l'utilisation des ressources, dans un souci de satisfaction des passagers. Il sera également un outil, en cas d'irrégularité ou d'incident, de disposer de toutes les informations pertinentes permettant à l'aéroport d'avoir une image globale pour la bonne prise de décision. Mot de la fin : En implémentant l'approche «Lean Six Sigma», nous ne recherchons pas une simple amélioration ponctuelle d'un processus, mais au contraire, nous ciblons une large réforme de fond de l'ensemble de l'organisation et des processus. Tous les projets en cours et futurs de l'aéroport s'inscriront dans cette nouvelle démarche, dont la réussite est fortement tributaire de l'engagement et de la contribution de tous les partenaires de l'aéroport Casablanca-Mohammed V.