Petite-fille de feu Ahmed Réda Guédira, Fatym Layachi, licenciée en littérature française à la Sorbonne, a vécu quelques jours dans le camp palestinien de Aïn El Heloue à Beyrouth. Elle livre ici son témoignage. Mardi 2 août 2005, 17 heures, une pièce de 5 m2, qui manque visiblement de propreté. Abou Saleh pleure en silence. Il ne fait que ça ou presque. À 87 ans, il a l'habitude... Nous sommes à Ain El Heloue, camp de réfugiés palestiniens du Sud Liban qui abrite plus de 70 000 personnes dans une surface de 0,82 km2 -bien encerclée tant par les murs que par les checks-points de l'armée libanaise. Abou Saleh pleure en exhibant fièrement les clefs de sa propriété d'où on l'a chassé une nuit de février 1948 et qu'il "revoit toutes les nuits en rêve" et dans laquelle il veut revenir afin d'y mourir. Il a rejoint le Liban à pied avec des dizaines de milliers d'autres, pensant regagner les terres de ses ancêtres dans une semaine au plus tard. Une semaine ! L'attente, douloureuse, dure depuis plus d'un demi-siècle. Les tentes sont devenues des maisons de fortune, en tôle ondulée ou en briques pour les plus chanceux. Le campement du début des années 50 s'est transformé en ville miniature et fermée avec ses commerces, ses 8 mosquées, ses 9 écoles, ses 2 salles de sport mais surtout son insalubrité. L'expansion démographique et l'interdiction formelle de s'étendre au-delà de la surface allouée en1948 ont rendu les rues de plus en plus étroites et ont contraint les habitations de s'agrandir à la verticale privant ainsi de lumière des pièces déjà minuscules dont les fenêtres donnent sur des murs. Le système d'évacuation des eaux est tellement précaire que les rues -qui sont le seul espace de jeux des enfants- sont jonchées d'excréments et autres eaux puantes. On comprend mieux les espoirs de Omar, 7ans,: "je rêve d'aller en Amérique, en Angleterre ou en France, là-bas je suis sûr qu'ils ont des grands terrains de foot. Ici tout est trop petit, tout est sale." Il paraît presque dérisoire de souligner que le camp est un espace qui n'offre aucun espace de divertissement et qui a pour seuls lieux de sociabilité les diverses associations ou la rue! Les mères palestiniennes se demandent pourquoi leurs enfants n'ont pas le droit de voir de jolies choses. Les femmes, les mères sont fortes. Même si les guerrières des années 70- 80 sont de plus en plus happées par un quotidien des plus précaires. Ces femmes restent gardiennes de la culture palestinienne qu'elles veulent à tout prix faire perdurer pour ne surtout pas oublier. Certaines ont conscience que les réfugiés palestiniens sont en train de perdre petit à petit leur identité sans pour autant en gagner une autre dans ces sortes de purgatoires que sont les camps, espèce de salles de transit, d'attente. On y attend le Retour... Comment inculquer les rites et les traditions ou tout simplement expliquer la Palestine aux enfants nés dans les camps? C'est un travail quotidien. On est fièr de cuisiner ces recettes transmises de mères en filles; les grands-mères décrivent inlassablement leurs villages d'origine; on fait chanter aux enfants l'hymne national. Les enfants ne sont pas insouciants, ils ont pleinement conscience de leur condition, ils se savent réfugiés. Quand vous demandez à un enfant d'où il vient, jamais il ne vous répondra Ain el Heloue, ni même Liban mais vous donnera le nom du village qui a vu naître ses parents ou ses grands parents, il vous le montrera sur la carte. Cette carte de la Palestine que tout réfugié peut vous dessiner les yeux fermés tant elle l'obsède, tant elle est présente dans les esprits et sur tous les murs. Le peuple palestinien est le seul peuple arabe 100% alphabétisé. Mais à quoi bon? La réponse de Jamal, 13 ans, est explicite: "à l'école on étudie les droits de l'Homme mais c'est juste pour mieux se rendre compte que l'on en a aucun". Le Liban, une terre d'accueil? Pas vraiment. Même si la majeure partie de la population libanaise est sensibilisée par la cause palestinienne, les gouvernements successifs n'ont jamais octroyé de droits aux réfugiés palestiniens. Comme si cela ne suffisait pas de n'avoir comme seul et unique papier d'identité une petite carte avec le drapeau libanais et l'inscription REFUGIE PALESTINIEN! En effet les droits sont tellement restreints que l'on voit toute une génération qui rêvait de devenir ingénieur, médecin ou avocat sacrifier ses rêves juste parce que pour eux ces métiers là sont interdits par la loi libanaise, les privant par la sorte de toute éventuelle ascension sociale, les condamnant à la misère. Ibrahim, 22ans, infirmier qui a choisi son métier sans la moindre vocation, envisage de s'expatrier pour rentrer plus tard au camp avec de l'argent pour les siens. Avoir 20 ans dans le camp? C'est, avant d'être un jeune homme, une jeune femme, se sentir palestinien. C'est un sentiment poignant, un besoin incessant de parler de la Palestine et d'avoir conscience que son avenir va forcément de pair avec celui du peuple palestinien. La mauvaise conscience mondiale a abouti à la création de l'UNRWA (la force de l'ONU qui "prend en charge" les réfugiés palestiniens) qui a ouvert des écoles, a mis en place un système de soins mais avec toute la bonne volonté du monde, l'ONU manque de moyens et ne peut subvenir à tous les besoins des réfugiés. Ainsi il n'est pas difficile de rencontrer une veuve qui ne reçoit aucune aide, qui travaille comme une esclave pour nourrir ses 9 enfants. Son quotidien? 1kg de viande acheté tous les 15 jours qu'elle divise en minuscules bouts pour l'unique repas journalier. Tous répètent inlassablement ce proverbe chinois: "ne me donne pas un poisson par jour mais apprends moi à pêcher". C'est ainsi qu'un grand nombre de professeurs surdiplômés sacrifient d'éventuelles brillantes carrières à l'étranger pour aider les enfants et adolescents palestiniens en ouvrant des centres de soutien scolaire ou des dispensaires à l'intérieur des camps afin de "construire une société qui sera forte au moment du retour". Ce droit au retour, cet espoir est "la seule et unique raison pour laquelle tous les réfugiés se lèvent le matin". • Fatym Layachi