Quatre intellectuels espagnols ont signé dans le journal El Pais du 25 juillet un texte en guise de réponse à l'appel des intellectuels marocains à leurs homologue espagnols. En voici la traduction. Le dimanche 17 juillet, 240 intellectuels marocains ont publié une annonce sur les colonnes d'El Pais sous le titre "Appel aux intellectuels espagnols" qui nous reproche notre position sur le Sahara qui a été exprimée dans la lettre que nous (470 écrivains, artistes, musiciens, journalistes et cinéastes) avons envoyée au président du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero. Cette lettre, soutenue par des milliers de citoyens de toutes les tendances politiques, demandait à notre gouvernement d'assumer sa responsabilité légale dans le Sahara occidental. Quand nous le faisions, nous ne nous basions pas sur notre propre opinion mais sur les résolutions de l'Organisation des Nations Unies pour qui l'Espagne continue à être la puissance administrative. En plus, nous croyions représenter une bonne partie des citoyens espagnols. Récemment, le sondage de la Fondation Elcano a montré que 72 % des Espagnols sont pour l'indépendance. Il est surprenant que l'annonce des intellectuels marocains ne parle pas de la légalité internationale. Ce "un quart de millier" de signatures représente un courant d'opinion respectable mais, seulement ça. Parler du Pays Basque, Ceuta, Melilla, Gibraltar et Olivença suppose une tentative pittoresque d'établir un parallélisme entre avec le Sahara occidental bien qu'ils ne se ressemblent pas du tout. Mais, laissant de côté l'ingénuité de ces arguments, il nous semble opportun d'entrer dans le fond du sujet : le reproche aux signataires espagnols. Dans leur argumentation, il donnent pour avéré le fait que nous rejetons le séparatisme basque et soutenons le séparatisme sahraoui. Deux erreurs nées d'une seule : ce que nous soutenons, dans n'importe quel endroit du monde, c'est la liberté. Liberté de pensée, d'expression, de manifestation et d'élection. Des droits qui sont enfreints ces derniers jours dans le Sahara occidental, comme le démontrent les condamnations allant jusqu'à 20 années de prison à l'encontre de Sahraouis ayant participé à des manifestations, les terribles conditions de détention d'Aminatou Haidar et la récente détention d'Ali Salem Tamek. La preuve du manque de garanties pour les personnes arrêtées, frappées et torturées, est le refoulement de délégations de politiciens espagnols et étrangers, et des organisations de droits humains. Les témoignages des journaux confirment la réalité des détentions et des mauvais traitements. Devant tout cela, nous ne pouvons qu'exiger que, d'une fois par toutes, on mette fin à une répression très brutale, en permettant une enquête sur le terrain qui soit libre et sans conditions. Nous aurions aimé que les intellectuels marocains se prononcent sur ces faits, parce que nous avons la certitude qu'ils doivent être horrifiés. Vu ce qui se passe, ils doivent craindre d'être victimes de peines semblables s'ils décident, demain, de manifester pour revendiquer leur liberté d'expression. Si cela arrive, qu'ils ne doutent pas que leurs collègues espagnols manifesteront leur rejet, comme ils l'ont fait dans le cas de Ali Lmrabet et autres auteurs, journalistes et créateurs partout dans le monde. Nous ne nous sentons pas attaqués par leur lettre. Au contraire, nous nous solidarisons avec eux pour leur manque d'information sur l'Espagne et le problème Sahraoui. L'histoire a été tergiversée dans leur pays, comme elle l'a été dans le nôtre. Beaucoup de Sahraouis qui souffrent aujourd'hui dans les camps de réfugiés avaient la nationalité espagnole, et des députés Sahraouis avaient des sièges dans le Parlement franquiste au même titre que les députés galiciens, canariens ou ceux de l'Estrémadure. Le Sahara était une colonie espagnole qui n'a pas été décolonisée conformément à l'éthique et à la légalité. Les Sahraouis ont été abandonnés à leur sort, livrés à deux voisins en conflit. Les Accords tripartites n'ont pas été plus que l'expression d'accords entre des dictatures, que l'ONU a déclarées nulles. Les collègues marocains ont exprimé une idée curieuse selon laquelle les Espagnols vivent la Marche Verte comme une "humiliation incurable", une "source de rancoeur" et un "traumatisme profond". Ils se trompent. La vérité est que nous considérons les Accords tripartites comme un exemple de l'infamie de notre ancien régime comme nous pensons que la Marche Verte l'a été d'une autre dictature, celle du régime marocain de 1975. Parce que, concernant l'actuelle occupation du territoire sahraoui par le Maroc, l'ONU (de nouveau !) considère qu'il s'agit d'une invasion. Nous aimerions leur expliquer que nous voulons le meilleur pour le Maghreb et que nous souhaitons pour eux la même prospérité que la nôtre. Mais nous sommes convaincus que la stabilité de la région n'aura pas lieu tant que les Sahraouis sont empêchés de décider, conformément à la logique de la décolonisation et aux résolutions de l'ONU, s'ils veulent intégrer le Maroc ou s'ils préfèrent l'indépendance. Le Sahara est une plaie ouverte pour le Maroc. Ce n'est pas nous qui l'affirmons, c'est l'écrivain marocain Laâbi dans l'article que nous citons au début. Dans cet article, il dit que "la seule affaire dans laquelle la fossilisation de la pensée est encore la norme est celle du Sahara". Eux, ils savent, mieux que nous, le pourquoi de cette opinion qui contraste tellement avec ce qui se dit dans l'annonce et avec la condamnation du Marocain Ali Lmrabet pour avoir voyagé aux camps de réfugiés et d'avoir écrit que les Sahraouis ne sont pas prisonniers à Tindouf. Ni Laâbi ni Lmrabet ont signé l'annonce. L'auraient-ils signé ? leur a-t-on offert la possibilité ? Dans son article "Le Maroc, malade du Sahara", Laâbi estime que le Sahara est le plus grand problème pour construire une démocratie dans son pays, mais "si le Maroc est malade du Sahara, peut-être qu'il entamera son traitement à travers celui-ci (...) Pour cela il faut éloigner de la maison les apprentis sorciers et les autres charlatans et ouvrir les fenêtres pour laisser passer l'air vivificateur de la raison et de l'espoir". Nous aimerions qu'il en soit ainsi. Le problème, et nous voulons répondre à Laâbi, c'est le rythme. Peut-on demander aux Sahraouis d'attendre, certains dans le désert et d'autres privés de liberté dans le Sahara occupé, que le Maroc construise un État démocratique ? Combien encore ? Une année, ou dix ? Peut-être trente ? Il est évident que non. Le problème du Sahara empêche le développement politique et économique du Maroc. Le Maroc ne sera pas crédible devant l'Union africaine, l'Europe ou les Nations Unies s'il continue à ne pas respecter les résolutions internationales. Et les investisseurs hésiteront beaucoup au moment de mettre de l'argent dans une zone en litige, comme ce fut le cas récemment pour la Norvège. Cela, sans parler du maintien du mur de défense qui isole le Maroc du Sahara, une hémorragie pour les caisses paupérisées de l'État. Si, comme nous n'en doutons pas, les intellectuels marocains veulent la démocratie, qu'ils demandent à leur Gouvernement de respecter les résolutions de l'ONU et de convoquer le referendum d'autodétermination. Si, comme ils disent, les Sahraouis ne veulent pas l'indépendance, où est le problème ? S'ils choisissent l'annexion, le problème est résolu et on construira ensemble cet État démocratique. Mais s'ils décident d'être indépendants, ils laissent la porte ouverte devant une possible intégration dans le futur et qu'ils décident eux-mêmes. N'est-ce pas ce que nous voulons tous : décider notre futur ? Une avant-dernière réflexion pour nos collègues marocains : beaucoup d'entre nous ont visité les campements de Tindouf. Celui qui n'y a pas été ne peut pas imaginer dans quel climat de liberté et de dignité on vit là-bas, et en partie, cela est dû à l'aide de milliers de familles espagnoles. Que personne n'offense sa générosité et son engagement, que personne ne joue avec son appui à un peuple déterminé à décider son futur. Dire que notre position "aggrave la situation dans les camps" est inqualifiable. Les Sahraouis remercient pour leur solidarité les dix mille familles qui, chaque été, reçoivent dans leurs maisons leurs enfants, mais considèrent qu'ils méritent historiquement cette solidarité, comme ils méritent leur liberté, leur mer, leur sol, leur nom et leur futur. Nous, qui avons signé la lettre à Monsieur Rodriguez Zapatero, sommes encore convaincus que la revendication des droits du peuple sahraoui est un acte de justice. Notre position n'est pas confortable pour le Gouvernement, mais nous la défendons par cohérence et amour à la liberté. Dans la lettre, nous ne parlions pas de Ceuta, Melilla ou Gibraltar, mais s'ils nous demandaient notre avis nous dirions évidement que : c'est la population elle-même qui doit décider de son futur, dans la légalité internationale. La même chose dans le cas du Sahara ! Nous aurions aimé que la lettre des intellectuels marocains, bien que publiée comme annonce, soit le reflet de la liberté du peuple voisin. Nous voulons terminer en invitant à une table ronde nos collègues marocains. Une table à laquelle participeront aussi les intellectuels sahraouis. Une table pour parler de culture, d'histoire et de futur commun. Qui ne peut pas être autre que la liberté. • Gonzalo Moure, Suso de Toro Ana Rossetti, Ricardo Gomez