Loin des histoires à rebondissements et des montages serrés, avec des explosions à répétition, Nomadland est un road-movie qui prend son temps. Le temps est à la fois l'histoire et l'acteur principal de ce film de Chloé Zhao, sorti en salle en juin 2021 et à retrouver dans les salles du Megarama. Après l'effondrement de la cité ouvrière du Nevada où elle vivait et la mort de son mari, Fern décide de prendre la route à bord de son camion blanc, aménagé, et d'adopter une vie atypique de nomade, en rupture avec les standards des «gens bien comme il faut.» Sa ville s'appelait Empire : cela ne s'invente pas! La ville existe réellement et comme l'explique Wilber, une des héroïnes du film, «Empire semble bien peu aux autres, mais c'est notre maison. C'est bien plus que la maison: c'est le foyer, c'est le travail, c'est la famille.» Or avec la fermeture de l'usine de plâtre USG, la ville va peu à peu péricliter jusqu'à devenir une friche industrielle. Ceux qui restent sont ceux qui n'ont nulle part ailleurs où partir. En passant de 800 habitants à 70, Empire va jusqu'à perdre son code postal : 89405. Le seul portrait de cette Amérique en marge aurait été passionnant, comme symbole du déclin étasunien. Mais la réalisatrice sino-étasunienne va plus loin que cela. À travers le portrait de son héroïne Fern, c'est le portrait des déshérités, des déracinés, des laissés-pour-compte qu'elle porte à l'écran. Une héroïne marquée par la mélancolie Comme une photographe, elle montre les rides et les ridules comme autant d'accidents de la vie. Fern, magistralement interprétée par Frances McDormand, est belle par son côté humain. Qu'elle pleure ou qu'elle rie, son visage ridé éblouit littéralement le grand écran. Fern incarne parfaitement ces populations délaissées, désespérées et pauvres qui sillonnent les Etats dits Unis pour trouver un emploi souvent saisonnier, toujours précaire, pour survivre, quelques mois de plus. Un «camp» Amazon Les passages chez Amazon sont symptomatiques de cette société ultra-capitaliste qui certes paie bien, mais rabaisse l'employé au rang de numéro et met tout en oeuvre pour qu'il serve au plus vite et au mieux le roi-client, exigeant, distant et sans considération pour ses petites mains, indispensables, qui travaillent dans l'ombre. Fern vit dans un «camp» Amazon où elle peut stationner son van avec un tarif préférentiel le temps des fêtes de fin d'année. Si elle expédie des cadeaux qui feront le bonheur, superficiel, de chacun, elle se retrouve seule avec une couronne en plastique et un unique feu de Bengale, dans une atmosphère engluée dans la tristesse et la nostalgie. Comment se pas penser à Sisyphe quand Fern se retrouve à emballer et trier une montagne de betteraves? Autrui comme pis-aller Pourtant, si le portrait de la misère est sans concession, le film n'est pourtant pas dénué d'espoir. Les rencontres aident Fern et rythment sa vie. La première est celle de Linda, une collègue chez Amazon, qui la persuade de venir pour un temps rejoindre le Desert RendezVous, en Arizona, où elle fait la connaissance de Bob Wells, un gentil mentor philosophe, qui fournit un système de soutien et une communauté aux nomades pauvres. Fern y apprend les techniques de base de survie et d'autosuffisance sur la route. Dans ce camps, Fern rencontrera David qui l'aime de loin, sans le dire et lui redonne confiance dans l'humanité, sans qu'elle n'arrive à s'établir avec lui, dans une «vraie» maison. La plus belle des rencontres survient à cause d'un pneu crevé. Sa voisine Swankie l'aide à trouver un garagiste mais surtout à saisir la beauté et la plénitude des trésors offerts par la nature, du coucher de soleil au caillou semblant anodin. La description du vol des hirondelles est particulièrement touchante, comme un chant du cygnes. Enfin, c'est la route elle-même qui est porteuse d'espoir. On the road again, chantait Willie Nelson en 1980, sans doute inspiré par le roman éponyme du Québécois Jack Kerouac Sur la route. Ce dernier écrivit : «On avait du chemin devant nous, mais qu'importe : la route, c'est la vie.»