La scène politique égyptienne connaît ces derniers mois une effervescence sans précédent. Pour barrer la route à la présidence à Jamal Moubarak “Kifaya”, un collectif d'associations et de partis démocratiques, a été constitué. La réponse du régime a été une série de poursuites judiciaires qui ont visé les leaders de ce mouvement. Une avenue du centre du Caire, bouclée par un impressionnant dispositif de sécurité. La scène qui jadis suscitait de grandes craintes dans un pays régi par la loi d'exception depuis des décennies est devenue courante depuis plusieurs mois déjà. Mais ce mercredi 6 juillet 2005, des troupes anti-émeutes de la police, armées jusqu'aux dents (des blindés même sont de la partie), se trouvaient devant le tribunal criminel de la capitale égyptienne qui a abrité la troisième séance de l'affaire Ayman Nour. Poursuivi pour faux et usage de faux dans des documents partisans, ce dernier est l'acteur principal d'un feuilleton qui tient plusieurs millions d'Egyptiens en haleine depuis quelques semaines. Ce mercredi encore, le jugement dans cette affaire a été reporté au 25 septembre, c'est-à-dire au moment de la tenue des élections présidentielles dont la date exacte n'a pas encore été fixée. Un report décidé en grande partie par le revirement de l'un des témoins qui s'est rétracté affirmant avoir été, lui et sa famille (ses nièces plus précisément), menacés par la police. Devant le tribunal se sont massés les sympathisants d'Ayman Nour ainsi que les membres actifs de plusieurs mouvements politiques d'opposition ainsi que des syndicats, notamment des journalistes et des membres du barreau égyptien. Une mobilisation qui demeure toutefois moins impressionnante que l'imposant dispositif de sécurité mis en place. Les pancartes anti-Moubarak s'entassent devant l'entrée du tribunal. Une spécialement a été placée de manière a être très remarquée, puisque répondant directement à une caricature parue mardi 5 juillet sur le quotidien gouvernemental Al Ahram représentant l'opposant en miniature que deux personnes essayent de chercher à l'aide d'une loupe. La réponse des manifestants était claire : «Un million de fourmis a pu venir à bout du corps d'un grand éléphant». La quarantaine bien entamée, Ayman Nour, avocat et président du parti Al Ghad (Demain) fait beaucoup parler de lui ces derniers mois en Egypte. La preuve en est l'audience que le secrétaire d'Etat américain pour les Affaires étrangères, Condolezza Rice lui a accordée lors de sa dernière visite au Caire. Une manière de signifier le soutien de l'oncle Sam à ce mouvement qui prône la démocratisation de la vie politique égyptienne, pays qui constitue la pierre angulaire du Moyen-Orient. Membre du Parlement pour la circonscription populaire d'Al Chaârya, il ne rate aucune occasion pour dénoncer la situation «chaotique» que traverse actuellement son pays montrant directement du doigt le régime actuel avec en tête le président Housni Moubarak. Il ne mâche également pas ses mots à l'égard du fils de ce dernier, Jamal Moubarak, qui se fraye aussi doucement que sûrement son chemin vers la présidence. Et c'est justement pour lui barrer le chemin qu'Ayman Nour et quelques-uns des mouvements opposants ont constitué le mouvement Kifaya. «Il s'agit tout simplement d'un cri émanant du cœur du peuple égyptien pour dire ‘'assez'' à plusieurs choses : à cette misère qui étrangle le peuple, à tout ce gaspillage des deniers publics. Bref, à cette dictature qui mène l'Egypte droit au gouffre », explique un membre du parti Al Ghad. Tout un programme qu'Ayman Nour développe à l'occasion de ses meetings un peu partout dans la république et sur les colonnes de l'hebdomadaire « Al Ghad », porte-parole du mouvement. « Il est franchement honteux qu'un Etat concentre tous ses efforts et mobilise tous ses services pour combattre un seul homme », écrit-il dans la livraison de mercredi 6 juillet en introduction d'un long éditorial expliquant les grandes lignes de sa vision pour l'Egypte de demain. Des thèses qui ont un grand écho chez la population. Et les manifestations en sont diverses. Un chauffeur de taxi cairote n'hésite ainsi pas une seconde à montera sa carte d'adhésion au parti Al Ghad et de déclarer son indignation quant aux « différentes manœuvres du régime de freiner la démocratisation qui s'impose ». Le même son de cloche est à entendre un peu partout dans la rue, à commencer par les quartiers huppés de Zamalek, Al Maâdi ou encore ceux très populaires d'El Hussein, Al Mansheya et Al Aataba. Dans les échoppes du célèbre souk Khan Al Khalili, les discussions reflètent très bien cette effervescence qui touche l'Egypte ces derniers mois et dont le déclic a été donné par l'invasion américaine de l'Irak. « Les nombreux Egyptiens qui sont descendus dans la rue ces jours-là ont pris conscience que le régime en place ne partage pas leurs préoccupations et leurs priorités. Ce gouffre qui se trouvait entre peuple et commandement, depuis plusieurs années déjà, s'est élargi pour devenir carrément insurmontable», estime ce membre d'Al Ghad et de Kifaya ayant requis l'anonymat. Tout le monde attend donc un changement qui semble tarder. Même le dernier amendement de la Constitution, qui a été décidé par Housni Moubarak en février dernier et qui a instauré le principe d'élections présidentielles libres et ouvertes à tout le monde au lieu d'un référendum comme ce fût le cas jusque-là, n'a pas tenu ses promesses, la nouvelle loi ayant fixé plusieurs conditions que les éventuels candidats doivent remplir. Depuis, nombre de corps de métiers montent au créneau pour réclamer plus de liberté. Les sit-in sont par exemple quotidiens devant le Syndicat égyptien des journalistes dont le siège est cerné jour comme nuit par les forces de police. Les manifestations ainsi que les grèves de la faim sont aussi au rendez-vous chez les avocats. Nombreux sont donc les intellectuels qui affichent clairement leur sympathie avec « Kifaya ». Mais nombreux sont également les intellectuels égyptiens qui minimisent la portée de ce mouvement. « Ce sont les médias arabes et internationaux, les chaînes satellitaires notamment, qui ont participé à une médiatisation à outrance de l'action d'une poignée d'hommes et de femmes qui s'agitent pour rien », estime Jihane Rachti, doyenne de la faculté de l'information à l'Université du Caire. Et d'ajouter : «Dénoncer une situation socio-économique détériorée est à la portée de tout le monde. La dernière des choses dont le peuple égyptien a besoin est ce genre d'action qui n'a qu'un seul but, celui de semer le chaos pour s'emparer du pouvoir. ` Dommage que les services de sécurité jouent le jeu en cautionnant l'action de ces gens en leur donnant beaucoup d'importance qu'ils ne le méritent ». Le même avis est partagé par Imane Abdelhadi, journaliste à l'hebdomadaire « Al Masri Assyassi » (L'Egyptien politique) qui regrette que les journalistes étrangers accordent beaucoup d'importance à une action très minoritaire. « Sur les écrans de télévision étrangères, les manifestations paraissent grandes, alors que dans la plupart des cas, il ne s'agit qu'une trentaine ou une quarantaine de manifestants qui sont entourés par deux ou trois mille policiers », précise-t-elle. Entre sympathisants du régime et mouvements réclamant une démocratisation complète du pays, des millions d'Egyptiens cherchent toujours leur voie et partagent un quotidien difficile. Une chose est sûre cependant, cet été sera très chaud en Egypte. • DNES au Caire Fadoua Ghannam mailto:[email protected]