Le Maroc a une longue pratique des concessions. La crise structurelle, dont les stigmates sont toujours vivaces, devrait trouver sa solution dans l'histoire de ces concessions. Des enseignements peuvent également être tirés de la situation héritée de la fin du régime des concessions. Ceux qui présidèrent aux destinées du secteur portuaire marocain n'ont pas su tirer profit de l'avantage que procurait la législation portuaire marocaine, remarquablement performante et à l'origine de plusieurs législations. En mettant fin au régime des concessions, à partir de 1962, une crise structurelle dont les stigmates sont toujours vivaces s'en est suivie. « À l'origine de cette dérive, on trouve en premier lieu la méconnaissance de l'histoire, dans le sens où les centres de décision n'avaient aucun ancrage dans la mémoire de la collectivité portuaire. Ensuite, il y a ce réflexe sourd et latent, de repartir à zéro et de faire, chaque fois, table rase du passé », estime Najib Cherfaoui, ingénieur des ponts et Chaussées, auteur de plusieurs références dans le domaine portuaire. L'histoire nous apprend que dès 1751, plusieurs négociants de Copenhague fondent, avec l'appui du Roi du Danemark, Frédéric V, une compagnie privée pour faire du commerce avec le Maroc. La société ainsi créée envoie aussitôt à Marrakech une mission à laquelle le futur Sultan Sidi Mohamed, alors Khalifa, accorde la concession des douanes de Safi et d'Agadir ainsi que le monopole du trafic de ces deux ports, moyennant une redevance fixe. Puis en 1766, Sidi Mohammed répond favorablement à la demande du roi d'Espagne Charles III et attribue à la Compagnie « Los Cinco Gremios Mayores » de Madrid, la concession du trafic des céréales aux ports de Casablanca et de Mohammedia. En 1786, il confie à une société hollandaise la concession du port de Larache. Pour ce qui concerne la première moitié du XXème siècle, les concessions portuaires résultent de l'acte d'Algésiras de 1906. « Ce traité établit l'ouverture des côtes au commerce extérieur. En conséquence, les ports feraient l'objet de concessions. Cette disposition aura un impact de longue durée sur le paysage portuaire marocain », précise Najib Cherfaoui. Ainsi, la construction et l'exploitation d'un port public à Mohammedia (Fédala), sont concédées à la « Compagnie Franco-Marocaine de Fédhala »). Par la suite, en décembre 1915, « La Manutention Marocaine » (MM), prend en charge la concession du remorquage et de l'aconage au port de Casablanca. Le régime juridique de la MM consiste en une gérance avec monopole de fait pour les opérations de manutention et de magasinage. En 1916, la Société des Ports marocains de Mehdya-Kénitra et Rabat-Salé (SPM) prend en main la concession pour la construction des infrastructures et l'exploitation de ce complexe portuaire pour une durée de 62 ans. En 1921, la Société Internationale pour le Développement de Tanger se voit reconnaître le droit exclusif de construire, d'entretenir, de développer et d'exploiter le port de Tanger, y compris tous les magasins et périmètres de stockage, sous douane ou hors douane ; avec l'engagement du gouvernement marocain de n'accorder aucune autre concession du même type dans un rayon de 200 km. Mais il garde le droit de créer un port de pêche ou d'accorder une concession spécifique pour un terminal à minerai de fer. Cette concession, cotée à la Bourse de Paris et consentie pour 75 ans, n'a duré que 40 ans. Les silos à céréales du port de Casablanca sont concédés en 1930 à la Chambre de commerce et d'industrie de Casablanca pour une durée 50 ans. L'Office Chérifien des Phosphates (OCP) finance la construction du quai des phosphates du port de Casablanca et en assure l'exploitation à partir de 1925 ; la convention de concession est à mettre sur la question de la durée. « L'OCP prend, de même, en charge la construction et la gestion du port de Safi. Cette concession, ayant pris fin le 31 décembre 1999, attend toujours sa régularisation », est-il précisé. En 1950, la forme de radoub et le bassin d'armement du port de Casablanca sont concédés à la Société Chérifienne d'Exploitation d'Ouvrages Maritimes (SCOM). L'État rachète cette concession à la SCOM en 1960. Mais cette dernière continue à assurer la gestion des installations jusqu'en 1970, date à la laquelle elles sont remises à la RAPC. Autrement dit, on a migré d'un système de concession vers une gestion en régie, après être passé par un affermage. L'Agence Spéciale Tanger-Méditerranée (ASTM), chargée, entre autres, du développement du port d'éclatement de Oued R'mel, est habilitée à conclure « en tant que de besoin, les concessions de services publics et concessions de construction, d'entretien et d'exploitation des ouvrages publics dont la réalisation lui est confiée … ». Autrement dit l'ASTM est clairement désignée comme « Autorité portuaire ». « Disons ici un mot sur la Régie d'Aconage du Port de Casablanca (RAPC). Rappelons tout d'abord que le contrat de concession accordée à la « Manutention Marocaine » (MM) est arrivé à expiration en 1941, en raison de la guerre il est tacitement reconduit », ajoute Najib Cherfaoui. Mais, en 1962, la décision est prise de substituer à la MM, la Régie des Exploitations Industrielles-Manutention Marocaine (REI-MM) pour une période transitoire d'une année, avec un cahier des charges identique. C'est ainsi que la RAPC est créée l'année suivante. Au début, limitées à Casablanca, ses compétences sont étendues aux principaux ports du pays : Agadir (1966), Mohammedia (1967), Tanger (1967), Safi (1967), Kénitra (1984) et Nador (1984). En décembre 1984, l'Office d'Exploitation des Ports (ODEP) se substitue à la RAPC avec des attributions progressivement élargies jusqu'à la métamorphose en « Autorité portuaire ». On retiendra en substance que, contrairement à une idée reçue, l'acte fondateur de l'ODEP se situe en 1915.