De division en division, nous sommes arrivés à la situation où tout particule a son syndicat. Ce phénomène unique au monde a ses origines dans la constitution de l'UMT. Ce 1er mai a démontré, de la plus claire des manières, que la crise du syndicalisme marocain est profonde. Le nombre des manifestants, toutes les Centrales confondues, est ridiculement bas ; même en étant généreux, on peut le fixer à une dizaine de milliers de personnes sur l'ensemble du territoire national. Comme d'habitude, ceux qui se refusent à la remise en cause ont vite trouvé la parade : «C'est un phénomène mondial dû aux mutations du capitalisme». C'est faire peu de cas de l'histoire du syndicalisme marocain. De division en division, nous sommes arrivés à la situation où tout particule a son syndicat. Ce phénomène unique au monde a ses origines dans la constitution de l'UMT. Le putsch contre Tayeb Ben Bouazza et le refus de la procédure démocratique avaient des motivations «politiques». Le syndicat se mettra en ménage avec le nationalisme petit-bourgeois dans une relation incestueuse qui aboutira à des conflits ouverts. La CDT naîtra de cette guerre pour, elle-même, vivre sa scission après le 6ème congrès de l'USFP, donnant naissance à la FDT. La tutelle du politique, ou du moins la tentative dans le cadre de l'UMT, s'expliquait par un contexte de rapport de force à établir et pour tout dire de Grand Soir à préparer. L'indépendance du syndicat était perçue comme une trahison aux «idéaux» révolutionnaires. La seule mutation qu'il y a eue, c'est que le syndicat est toujours perçu comme une capacité de nuisance mais aussi un réservoir de voix. Il s'agit là d'une dénaturation absolue du travail syndical. Cet organisme de classe est né pour arracher des revendications, améliorer les conditions de la classe ouvrière, faire jouer son unité contre le patronat et l'Etat. Ce combat, par essence, s'inscrit dans celui visant la justice sociale. La praxis syndicale a dégagé des instruments tels que la conversation collective pour manifester l'unité de destin du prolétariat. Le syndicalisme «politisé», instrumentalisant les luttes, a été une vraie catastrophe pour ce pays. Les anciens se rappellent d'une grève très dure à l'OCP au début des années 70. L'OCP avait un stock énorme et a pu tenir plusieurs mois, annonçant le chant du cygne de l'un des syndicats les plus puissants du Maroc. Les grèves générales à répétition, sans préparation, ont abouti à des émeutes d'abord, ensuite à une banalisation extrême; la dernière en date n'étant suivie que par les éboueurs. Aujourd'hui, les bureaux régionaux du syndicat des électriciens de l'UMT sont entre les mains d'intégristes qui visent le colossal trésor de guerre du COS-ONE. Des revendications très catégorielles au sein de l'enseignement ont donné naissance à un cadre syndical bien tenu par les mêmes intégristes. A l'OCP, à l'ONCF, ils ont acquis droit de cité et sont devenus incontournables dans un milieu syndical éclaté. C'est le refus de se battre pour un syndicalisme indépendant et démocratique qui ouvre la voie à la fascisation des syndicats. Oui, vous avez bien lu, l'organisation de classe par essence vit sa perversion. Les militants de gauche devraient exiger de leur parti la fin du mythe du contrôle du syndicat-maison. Les militants politiques doivent respecter le cadre en milieu syndical. C'est la seule issue pour réorganiser un champ qui menace, ruine et dont, paradoxe, les ruines sont menaçantes. Car si le terrain de la revendication est phagocyté par l'intégrisme et les rebuts du gauchisme, nul doute que l'avenir des luttes sociales c'est le mur. Pendant ce temps, des syndicalistes importent leur zizanie politicienne au syndicat et s'étonnent que le nombre de syndiqués fond au soleil. Ils n'ont assurément pas lu les classiques.