Le dernier ouvrage d'Abdelatif Jebrou, journaliste et écrivain marocain, est intitulé "Discussion avec El Boukhari au sujet de son témoignage sur les années de plomb". Ce livre est le premier d'une série d'autres écrits que Jebrou compte produire sur "le Maroc du XXème siècle". Boukhari pense que nous, les Marocains de manière générale et ceux qui ont côtoyé de près le cher Si Abderrahim, sommes extrêmement naïfs et stupides pour croire que le "point fixe 1" était un lieu de rencontres secrètes "entre le général Oufkir et le leader de l'Ittihad, Abderrahim Bouabid, en 1971, à la suite de la tentative de coup d'Etat de Skhirate, puis en 1972 à la suite de l'attaque de l'avion royal". Abderrahim Bouabid, que Dieu ait son âme, estimait que le Maroc a recouvert sa souveraineté après une lutte acharnée. Une résistance à laquelle plusieurs officiers de l'armée n'avaient pas participé. Certains même se sont dressés contre elle, préférant défendre la colonisation et la présence étrangère au Maroc. Plus on écartait Abderrahim Bouabid, à l'instar d'autres nationalistes, du cercle de la prise de décision, et ce dès le début du mois de mai 1960, plus on donnait la possibilité à ces officiers d'assumer, non seulement des responsabilités militaires, mais également d'occuper de hauts postes territoriaux et ministériels. Parmi ces officiers, figurait le général Oufkir. Celui-ci a exercé le pouvoir, dans un style connu de tous, en supervisant de célèbres centres de détention et dont Bouabid connaissait les moindres détails en sa qualité d'avocat, qui a défendu des accusés dans des procès organisés à la suite de longues périodes "d'hospitalité" chez Oufkir. Le dangereux rôle joué par Oufkir, lors des évènements de mars 1965, ont certainement le plus marqué Si Abderrahim. A cette époque, le général sanguinaire a fait montre d'une "grande dextérité" dans la "négociation" avec les manifestants en ouvrant le feu sur eux, faisant ainsi des centaines de morts. Bouabid était au courant du rôle joué par le général sanguinaire dans la préparation de l'enlèvement de son camarade, le martyr Mehdi Ben Barka, le 29 octobre 1965. Boukhari ou ceux qui lui ont soufflé l'idée de divulguer de fausses informations pour tromper les gens, savent-ils que Si Abderrahim et le leader Allal El Fassi s'apprêtaient à rencontrer Feu Hassan II au sein du Palais royal, un jour du printemps 1972, dans le cadre de concertations politiques visant la formation d'un gouvernement où les Ittihadis et les Istiqlaliens seraient parties prenantes, le but étant de trouver une issue aux crises que connaissait le Maroc et qui ont conduit aux évènements sanglants du Palais de Skhirate. Au sujet de ces concertations politiques, Hassan II, que Dieu ait son âme, dira dans "les mémoires d'un Roi" que Oufkir a affirmé: «Votre Majesté, puisque vous avez l'intention de faire participer les nationalistes au gouvernement, il fallait nous avertir avant pour plier nos bagages et quitter le Maroc!» Dans cette ambiance, Abderrahim Bouabid et Allal El Fassi, que Dieu ait leurs âmes, se rendaient souvent au Palais royal. Un jour, devant la porte d'entrée, ils ont rencontré Oufkir. Et quand Si Abderrahim a refusé de lui serrer la main, Oufkir en rogne a demandé au leader Allal El Fassi : "Pourquoi cette hostilité contre ma personne?" Allal El Fassi a répondu "Pour une simple raison, l'affaire Mehdi Ben Barka!". Quelques mois plus tard, Oufkir s'est "suicidé" disparaissant ainsi du paysage politique marocain. Et depuis lors, l'enquête sur l'enlèvement et l'assassinat du martyr Mehdi Ben Barka n'a pas encore abouti. Même si la recherche de la vérité piétine toujours, les faits sont en revanche clairs. Car celui qui a occupé le poste de ministre de l'Intérieur, jusqu'au début des années 1970, était condamné par la justice française, convaincue du rôle central joué par Oufkir dans l'enlèvement et l'assassinat du martyr Mehdi Ben Barka. Les propos de Boukhari, au sujet de Abderrahim Bouabid, s'inscrivent dans le cadre de la campagne de dénigrement lancée contre Bouabid de son vivant et qui se poursuit manifestement même après sa mort. De son côté, Driss Basri profère, lui aussi, des mensonges à l'encontre d'Abderrahim Bouabid, quand il insinue que ce dernier a été trempé dans l'histoire du putsch manqué dirigé par Oufkir en août 1972. Dans un entretien accordé au journal "Al Qods Al Arabiya", et publié en 18 pages en décembre 2004 sur le site Internet de cet organe de presse édité à Londres, Driss Basri prétend dans la neuvième page: "Abderrahim Bouabid et ses camarades ont comploté avec Oufkir pour renverser le régime monarchique instauré par Hassan II". Comme Driss Basri est un homme qui devient rapidement amnésique, il reparle dans le même entretien d'Abderrahim Bouabid en le présentant comme un véritable démocrate, à l'opposé de l'image d'un comploteur prêt à pactiser avec des militaires putschistes. Ainsi dans la page 14 de l'entretien réalisé par Chaouki Amine, le correspondant à Paris d'Al Qods Al Arabiya, le ministre déchu déclare: "j'échangeais les points de vue sur les problèmes du Maroc avec le grand nationaliste et le célèbre homme d'Etat maître Abderrahim Bouabid… C'était un opposant au Roi, mais son opposition était à la fois éclairée et ferme. Comme tout le monde sait, il était également un profond connaisseur des affaires politiques qui a opté pour la voie de la démocratie socialiste et sociale… Il disait toujours: «le Roi doit nous laisser, nous les Marocains, batailler entre nous… le Roi doit régner et non gouverner et doit jouer le rôle d'arbitre…". C'est ainsi que Driss Basri donne deux images contradictoires d'Abderrahim Bouabid. On reste perplexe: doit-on croire la version donnée par l'ancien ministre quand il parle de Bouabid le comploteur ou celle où il assure que Bouabid a "opté pour la voie de la démocratie"? Il serait intéressant de rappeler les propos de Hassan II au sujet d'Abderrahim Bouabid, juste avant la mort de ce dernier. Dans le discours d'ouverture de la session parlementaire, du vendredi 11 octobre 1991, le Souverain a déclaré en constatant l'absence de Bouabid de la séance: "Je vois ici un siège vide, celui de notre compagnon de lutte, notre ami de longue date qui est resté l'ami de tout le monde, monsieur Abderrahim Bouabid. A cette occasion, nous lui espérons, de tout notre cœur, un prompt rétablissement pour qu'il puisse reprendre son travail de manière générale et plus particulièrement son activité au sein de cette respectable chambre". Ces déclarations de Hassan II ont été prononcé trois mois avant le décès d'Abderrahim Bouabid. Bon nombre de personnes sont restées complexées de Bouabid de son vivant et même après sa mort, en inventant d'innombrables histoires sur son compte. Dans le registre de "l'action psychologique", il faut rappeler un seul événement: à la suite de l'échec de la tentative désespérée des militaires à Skhirate, des rumeurs ont été répandues sur l'arrestation du leader socialiste, Abderrahim Bouabid, en raison de son implication dans la tentative de ce coup d'Etat. Certains ont été surpris, d'autres y ont cru. Dans l'après-midi, c'était probablement le dimanche 11 juillet 1971, nous avons entendu que Bouabid avait participé le jour même à l'enterrement de Feu Abderrahmane Ben Abdennabi, son gendre, tué dans la boucherie de Skhirate survenue le samedi 10 juillet. Cet événement anodin montre bien la différence qu'il y a entre l'image réelle d'Abderrahim Bouabid, dans sa vie quotidienne, et l'image que se faisaient de lui ceux dont il hantait la conscience. • Traduction: Abdelmohsin El Hassouni