Un texte, deux mises en scène. «La Casa de Bernarda Alba», pièce de F.G.Lorca, a été montée et par la troupe régionale de Rabat et par la troupe “Tacon”. Serait-ce-là le fruit du hasard ? Ou l'effet d'un choix réfléchi ? Réponse. Un week-end théâtral dédié à Federico Garcia Lorca. Les férus de scène ont eu droit à trois représentations de pièces montées d'après un texte de l'auteur espagnol, «La casa de Bernarda Alba». La première intitulée «Dar Laman», dont l'adaptation et la mise en scène portent la signature de Mohamed Zouhir (responsable de la troupe régionale de Rabat), a eu lieu jeudi soir dernier au Théâtre national Mohammed V, alors que les deux autres de la pièce intitulée «B'nat Lalla Mennana» ont été données successivement vendredi et samedi derniers à la salle Bahnini par la troupe «Tacon» (Talon aiguille, en espagnol). Le nombre aurait pu être encore revu à la hausse si Latéfa Ahrrare, comédienne-metteur en scène, ne s'était pas désistée d'adapter et de mettre en scène à son tour le même texte de Lorca sous le titre «B'nat ennass». Bien avant encore, Majida Benkirane, comédienne, aurait monté le même texte, alors qu'elle était encore étudiante à l'Institut supérieur d'art dramatique et d'animation culturelle de Rabat. L'intérêt que nos professionnels de la scène portent au texte de Lorca ne fait ainsi aucun doute. Reste maintenant à en connaître le pourquoi. Avant d'entrer dans le vif du sujet, il convient de signaler que l'auteur de la pièce, de son nom Federico Garcia Lorca, est resté d'autant plus apprécié dans les milieux de théâtre internationaux qu'il avait payé de sa vie sa liberté de ton et son autonomie de pensée. «La Maison de Bernarda Alba», par laquelle l'auteur fait le deuil du «mythe espagnol», n'était pas pour plaire au régime fasciste de Franco. Dans cette pièce, F.G.Lorca nous présente une Espagne sous les traits d'une femme vieillissante, voire ménopausée. A l'instar de William Shakespeare, qui dans « Hamlet » avait annoncé le début de la fin de l'empire élisabéthain traduit par le désenchantement populaire, F.G. Lorca annonce à travers «La Casa de Bernarda Alba» le déclin de l'empire espagnol. Un constat qui a été à l'origine de son assassinat en 1936 par les terroristes du dictateur Franco. Maintenant, pourquoi le texte de Lorca fait l'actualité chez nous ? Serait-ce là un prétexte pour glorifier la mémoire d'un martyr de la liberté ? Mais pourquoi en cet instant même ? Le contexte actuel du Maroc est-il empreint de dérives sécuritaires de même que l'a été celui de l'Espagne sous Franco ? Que non, mille fois non. Mais si la liberté au Maroc ne fait pas l'ombre d'un doute, pourquoi alors transplanter un texte qui témoigne contre l'Espagne de Franco ? Pièce contre l'internement de la femme, «La Casa de Bernarda Alba» fait triompher l'émancipation féminine. Or, le Maroc a franchi à cet égard un pas historique. En témoigne la réforme du code de la famille. Une réalité étayée, dans les adaptations marocaines, par un a priori scénique significatif. Dans les pièces montées d'après le texte de F.G.Lorca, les filles cloîtrées par leur mère pour les mettre soi-disant à l'abri des hommes finissent par se révolter contre l'ordre établi et par conséquent recouvrer leur liberté. Cet a priori est bien entendu véhiculé de deux manières, tant les styles diffèrent. Mohamed Zouhir, dans sa pièce «Dar Laman», est resté fidèle à la nature du sujet, notamment en préservant l'unité spatiale conformément aux canons de la tragédie, alors que la troupe «Tacon», elle, a pris ses distances avec l'esprit tragique en privilégiant le côté humoristique. Les quatre filles de «Lalla Mennana» n'ont pas observé le deuil après la mort de leur père, faisant même fi de la douleur de «Mennana» présentée comme une mère tyrannique.