L'opération de rachat par l'ONA de la holding des Kettani qui contrôle Wafabank a pris tout le monde de court. Les milieux financiers n'en reviennent toujours pas. Détails d'une transaction qui annonce des chamboulements importants dans le paysage bancaire. Cette transaction estimée par certains analystes à quelque 5 milliards de DH fait de la BCM le premier groupe bancaire marocain. Il semblerait que le patron de Wafabank, Abdelhak Bennani, ait appris la nouvelle comme tout le monde. Révélations. La nouvelle a fait l'effet d'une secousse tellurique dans les milieux bancaires et financiers marocains. Elle a pris de court tout le monde. Il s'agit du rachat par l'ONA via la Banque commerciale du Maroc (BCM) du groupe Kettani de la Wafabank. Annoncée en fin de matinée du lundi 24 novembre aux cadres des deux institutions, l'information se répandra aussitôt comme une traînée de poudre pour faire le tour de la place casablancaise. Le communiqué commun officialisant ce partenariat n'est pas encore tombé. Il devrait être rendu public après Al Aïd Sghir. Personne n'était jusque-là au courant des tractations qui ont abouti à la conclusion de cette opération. Y compris le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) qui apprendra la nouvelle comme tout le monde. Pour un secret bien gardé, c'en était vraiment un. D'où la surprise. Elle est énorme. À la hauteur des enjeux de cette opération qui chamboule de fond en comble le paysage bancaire national. Les négociations, tenues donc dans le secret total, ont été entamées depuis un mois environ entre le jeune patron de la BCM Kahlid Oudghiri et les héritiers Kettani. Ces derniers étaient menés par Sâad Kettani, président-directeur général de Wafa Assurance et de la holding familiale OGM et par ailleurs président-délégué du comité de la candidature du Maroc au mondial 2010. La communauté des affaires, comme sonnée, a évité de réagir à chaud, dans la foulée, préférant prendre du recul pour mieux digérer ce qui ressemble à un gros coup finement joué. En attendant, on sait déjà que cette transaction fait de la BCM le premier groupe bancaire du Royaume. Les dispositions de l'accord signé entre les deux parties permet à l'ONA, par le truchement de la BCM, de reprendre l'ensemble de la holding familiale des Kettani connue sous le nom d'OGM. Celle-ci cède ainsi ses diverses participations dans différents secteurs : les 40,42% qu'elle détient à Wafabank, ses 51,41% à Wafa Assurance et les 34% au Crédit du Maroc (CDM). À quoi il faut ajouter les intérêts d'OGM dans les domaines industriel et agricole. En échange, les propriétaires d'OGM prendraient, grâce à un montage spécifique, des participations à la société nationale d'investissement (SNI). Certains analystes chiffrent le montant de la transaction à quelque 5 milliards de Dirhams. Un très joli pactole. Cette fusion n'a pas fait que des heureux. Celui qui doit s'en mordre les doigts n'est autre que le patron de la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE), Othmane Benjelloun, qui a appris la nouvelle à l'étranger où il se trouve depuis dimanche 23 novembre. L'intéressé s'est vu refuser récemment, de la part des autorités monétaires du pays, une prise de participation, par les Caisses d'épargne françaises dans le capital de la BMCE, à hauteur de 20%. Ce qui n'a pas été du goût de M. Benjelloun qui a été jusqu'à convoquer une conférence de presse où il a exprimé de manière allusive son mécontentement envers plus d'un. De là à voir dans le rachat par la BCM de la totalité des actifs de la famille Kettani une réponse du berger à la bergère, il n'y a qu'un pas que certains observateurs ont vite franchi. Une chose est sûre : cette fusion bancaire est jugée positive par rapport à la concurrence étrangère en ce sens où elle donne naissance au premier pôle bancaire 100% marocain. Ce qui est sûr aussi c'est qu'elle va également obliger certaines banques à lutter pour leur survie dans un marché qui promet d'être concurrentiel. Finie la banque de papa ! Autre perdant dans l'affaire est le président-directeur général de Wafabank, Abdelhak Bennani. Certaines rumeurs indiquent qu'il a été tenu à l'écart des négociations et qu'il n'a été mis au parfum qu'un quart d'heure (d'autres parlent d'une semaine) avant l'annonce de l'opération de rachat aux cadres des deux banques. Il semble que la marginalisation par les héritiers Kettani de leur cousin sonne comme une sanction de la gestion de ce dernier. En effet, Abdelhak Bennani a engagé Wafabank dans des pourparlers en vue d'un rapprochement stratégique avec le crédit agricole français, lequel contrôle, à 51% la banque Crédit du Maroc (CDM). Car selon la vision de M. Bennani, le partenaire naturel de Wafabank est le CDM dont il rachètera d'ailleurs 34% du capital il y a deux ans environ. Mais cette acquisition s'avère catastrophique par la suite lorsque le titre CDM décrochera en bourse de plusieurs points. Les pertes pour le groupe Wafa sont chiffrées à quelque 600 millions de DH. Les héritiers Kettani sont pour la première fois en colère contre leur cousin prodige qui a montré jusque là de grands talents de gestionnaire, voire de visionnaire. L'affaire est d'autant plus grave à leurs yeux que M. Bennani a engagé dans l'opération CDM les fonds non seulement de Wafabank mais aussi ceux de Wafa Assurance . Une bérézina. C'est le premier grand ratage de Abdelhak Bennani. Wafa Assurance, dont le président est Saâd Kettani, accusera particulièrement le coup au point qu'elle loupera deux grandes opérations, la prise de contrôle des deux compagnies d'assurance Al Wataniya et Sanad, tombées respectivement dans l'escarcelle du groupe Benjelloun et Holmarcom de la famille Bensaleh. La conclusion de l'accord entre la BCM et la Holding des Kettani a rendu subitement caduques les négociations de Abdelhak Bennani avec le Crédit agricole français pour son projet de fusion-absorption du Crédit du Maroc. Mais les dirigeants de la banque française ont conditionné leur participation dans ce projet à la prise des commandes de Wafabank. Abdelhak Bennani devrait leur rendre une réponse définitive au plus tard au cours de mars 2004. Une chose est sûre : les héritiers Kettani n'auraient jamais accepté de céder les mannettes de leur groupe à une entité étrangère. D'où certainement leur partenariat en douce avec la BCM. “ Les Kettani, à travers leur holding, ont choisi de jouer la carte du Maroc et de ses intérêts financiers et économiques“, nous a confié sous couvert de l'anonymat un cadre du ministère des Finances.