«J'ai voulu parler d'un homme âgé de la cinquantaine qui cherche du travail, vivant avec une femme qui le rabaisse et qui se demande si la vie vaut la peine d'être vécue». «Adam Bofary». Voilà un personnage que son auteur, Jean Zaganiaris, d'origine grecque et résidant au Maroc, conçoit différemment de «Madame Bovary» de Gustave Flaubert. Si cette héroïne est osée, le premier semble se laisser faire. Un comportement qui se voit sur le personnage masculin au fil de la lecture de l'œuvre dont les faits se déroulent dans la ville ocre du Maroc. Pour démarrer son intrigue, l'écrivain brosse le portrait d'un homme qui perd son travail mais qui ne se défend pas suite à ce licenciement. Un événement qui le marque et l'incite à s'interroger sur sa valeur existentialiste. Interrogations sur la vie «J'ai voulu parler d'un homme âgé d'une cinquantaine d'années qui cherche du travail, vivant avec une femme qui le rabaisse et qui se demande si la vie vaut la peine d'être vécue», précise M. Zaganiaris. Dans ce sens, l'écrivain compare le protagoniste de son roman à un boxeur au tapis après avoir pris un coup en pleine figure. «Il se demande s'il va se relever et reprendre le combat ou rester au sol et attendre que l'arbitre compte jusqu'à 10. Même s'il essaie de se relever, il n'arrivera pas à reprendre la garde sur le ring», explicite-t-il. L'auteur voit de cette façon Emma Bovary, le personnage créé par Flaubert dont il s'est inspiré pour écrire son roman. Cependant, il existe d'autres différences entre les deux protagonistes. Si cette héroïne lit assez de livres, Adam est accro à son smartphone. Forte addiction aux réseaux sociaux C'est dans ces espaces virtuels que le héros de M. Zaganiaris passe tout son temps. Pour l'écrivain, l'idée était de réincarner la figure de Madame Bovary –d'où le jeu de mots du titre Adam Bofary– au sein d'un personnage masculin évoluant dans le Marrakech des années 2010. «Il s'agit donc de trouver de nouvelles caractéristiques à ce dernier tout en lui cherchant des affinités électives avec Emma Bovary», détaille l'auteur dont le personnage ne lit pas des romans à l'eau-de-rose mais il passe ses soirées à surfer sur les réseaux sociaux. «Tout comme Emma Bovary, il meurt de ne pas réaliser ses rêves, de ne pas connaître les ascensions sociales espérées. Cela s'inscrit dans le spleen de Madame Bovary. Les réseaux sociaux lui renvoient à la figure l'insignifiance de sa vie et du monde qui l'entoure. A un moment, il ne supporte plus tout ça», précise l'écrivain qui dit s'être amusé à entreprendre la même démarche avec d'autres personnages du roman. C'est le cas de Léon qui devient Leïla, Rodolphe qui devient Rania, l'apothicaire Homais qui devient Halim, un dealer de rue, et l'abbé Bournisien qui devient Boujmal, une sorte de responsable communication d'une clinique privée où Shahrazade, épouse d'Adam, est chirurgienne. Une reconquête amoureuse Contre toute attente, la femme d'Adam, qui le rabaissait au début des faits du roman, le reconquiert de manière surprenante. A propos de ce fait, que seule la lecture de l'œuvre permet d'en découvrir le charme, l'écrivain abonde en explications. «Pour moi, la littérature s'inscrit dans la fiction. Lorsqu'on écrit, on joue avec les apparences, avec le réel, avec les émotions. Shaharazade incarne Charles Bovary, le mari d'Emma. Dans le roman de Flaubert, Charles est très amoureux de sa femme. Je me suis inspiré de ça mais pour en faire autre chose, jouer avec la lectrice ou le lecteur qui se laissent entraîner dans l'histoire. Il y a dans tous mes romans quelque chose de masculin qui s'adresse spécifiquement aux femmes. Shaharazade incarne cela. Après, j'ai voulu que la fin prenne tout le monde au dépourvu, surtout les admirateurs de Madame Bovary», révèle M. Zaganiaris. Cela étant, «Adam Bofary» est le deuxième tome d'une trilogie de l'auteur. Le premier étant «Un cœur marocain (Marsam, 2018) dans lequel l'écrivain, également professeur de philosophie au lycée Descartes de Rabat, parle d'une personne nommée Adam qui perd la santé et découvre l'amour. Dans «Adam Bofary» (Editions Onze, 2020), l'auteur parle d'un homme qui perd son travail et découvre la rédemption dans la volupté. Les deux romans ont, comme il le précise, en toile de fond un monde néolibéral impitoyable, où l'éducation et la santé sont des marchandises. «Le prochain parle d'un homme toujours nommé Adam qui est en train de perdre une personne chère, gravement malade, et qui découvre également quelque chose qui fera sens dans sa vie», annonce-t-il.