Entretien avec Karim Aitouna, réalisateur et producteur marocain ALM : Votre nouveau film aborde le sujet des vendeurs de rue. Pourriez-vous nous parler des raisons de ce choix pour votre 1ère œuvre cinématographique? Karim Aitouna : Dans mon premier film, qui est un documentaire que j'ai réalisé entre 2013 et 2018, j'ai accompagné les vendeurs de rue dans une ruelle très importante à Tétouan qui s'appelle la rue d'Algérie. Pour y traiter la question de la vente de rue au Maroc ou le phénomène des « ferrachas », j'ai essayé de leur donner la parole, les accompagner dans leur quotidien avec un regard contemplatif. J'ai également essayé de saisir leur humanité et tendresse, voire leurs problèmes et conflits pour aborder ce sujet avec beaucoup plus de concret. En fait, je constate qu'on en parle beaucoup sans finalement apporter de vraies solutions. C'était très important pour moi de dire que c'est un problème et phénomène qui nuit à la société et à eux-mêmes. Mais tant qu'il y a cette culture de rente, le problème ne sera pas réglé. Mais pourquoi traiter un phénomène social en documentaire ? Le cinéma aujourd'hui c'est de la fiction. C'est une histoire écrite à partir de l'imagination d'un auteur. C'est aussi un documentaire qui est une histoire écrite à partir d'un quotidien vécu. C'est pour cela que c'est un documentaire et c'est du cinéma parce qu'il y a tous les ingrédients qu'on trouve dans une fiction. Des images, du son, un propos, des regards sur la société, des personnages dont l'histoire évolue avec un début et une fin. Ce sont des êtres humains filmés, ils ont un parcours. Avec les outils de cinéma, j'ai essayé de leur donner une existence et un propos filmique. Qu'en est-il du rapport entre l'intitulé et l'intrigue de votre documentaire? Pourriez-vous l'expliciter ? Le film, qui met également en scène des Africains, raconte le quotidien de trois vendeurs de rue. C'est un problème qui reste marocain surtout à Tétouan puisque 40% de la population vit essentiellement de cette activité que ce soit la contrebande ou la vente de rue. Le film accompagne ces trois vendeurs de rue qui essaient de trouver une place dans une économie qui reste illégale. Comme tout le monde qui vend dans la rue, c'est difficile de trouver une place. Il y a beaucoup de problèmes pour s'installer quelque part pour s'imposer. D'où le titre du film. Quel regard livrez-vous sur le film documentaire au Maroc? Je pense qu'aujourd'hui il y a de plus en plus de bons réalisateurs marocains qui font du documentaire. La preuve, c'est qu'en 2018, le grand prix du Festival national du film de Tanger est allé à un documentaire qui avait gagné un Grand prix du Festival Hot Docs de Canada. Et il y a de plus en plus de films. Quand on regarde le programme «Des Histoires et des Hommes» sur 2M on voit des films qui peuvent atteindre jusqu'à 2 ou 3 millions de téléspectateurs, soit jusqu'à 25% du taux d'audience. Je pense que le documentaire marocain a un public beaucoup plus intéressant qu'en France où on n'arrive même pas à atteindre 100 à 200.000 de téléspectateurs au mieux 500.000 ou un million. Mais au Maroc, les taux d'audience des documentaires qui passent à la télé sont élevés. C'est juste qu'on n'arrive pas encore à faire la différence et comprendre que le documentaire peut aussi être du cinéma et raconter des histoires. Avez-vous des projets ? J'en ai comme producteur. Je suis en fin de post-production d'un documentaire sur un réfugié syrien qui a le jardinage comme passion en France. Je suis aussi en train de finaliser un documentaire d'une réalisatrice japonaise qui fait un film sur deux frères colombiens qui essaient de vendre du café en Chine.