La route marocaine est tueuse. Elle est barbare. Au rythme où les accidents sont annoncés, on garde la pitoyable impression que le pays, dans son entier, est une zone accidentogène. L'Allemagne est le pays le plus peuplé de l'Union européenne, 90 millions d'âmes. On y dénombre 6.613 tués de la route (2003). La France, pays au plus long réseau routier. On y a compté, en 2004, 5.732 tués. Ces chiffres sont rigoureux. Ils sont mesurés avec vigilance et selon les standards internationaux, c'est-à-dire qu'ils tiennent compte de tous les décès survenus à trente jours de l'accident. Et pour cause. La sécurité routière est une question majeure en Europe et une priorité politique en France. Le Maroc, pays de 30 millions d'habitants, un réseau routier rachitique et un parc automobile qui, dans sa totalité, atteint à peine les immatriculations allemandes d'une seule année. Toutes les Mercedes du Maroc, vaches folles (grands taxis blancs) compris, atteignent à peine le nombre de Mercedes de la seule ville de Munich. On peut donc, à la lumière de ces chiffres, parler de cataclysme, s'agissant du Maroc, lorsque l'on voit comment la route fabrique de façon industrieuse les linceuls. Lorsque l'on sait que la circulation fait près de 3.700 morts. La route marocaine est tueuse. Elle est barbare. Au rythme où les accidents sont annoncés, on garde la pitoyable impression que le pays, dans son entier, est une zone accidentogène. Criminogène serait, d'ailleurs, un terme plus approprié. Si on voulait bien sortir le nez des spéculations institutionnelles et des agiotages politiques, le pays devrait trouver, dans la lutte contre cette catastrophe, un vrai sujet de mobilisation. Oui, je sais qu'il y a, aujourd'hui, une grande stratégie nationale qui entend jouer sur toutes les touches du piano : législatif, contrôle, sanction, éducation, infraction. Une stratégie pour répondre à une tragédie. J'entends, par ailleurs, qu'on va augmenter férocement les contraventions, ce qui ne manquera pas d'accroître sûrement et rudement le bakchich. Mais lorsqu'il s'agit de mobilisation, il ne suffit pas de créer une commission Théodule. Il faut mobiliser le peuple. Il faut lui réclamer de ne pas abdiquer face l'hécatombe, n'en déplaise à notre fatalisme légendaire. Il faut savoir réveiller en lui la citoyenneté endormie. Il faut trouver dans ce combat un levier pour une lutte intraitable contre la corruption. Contre les corrompus et les corrupteurs. Car il ne saurait y avoir de citoyenneté là où il y a corruption. Il faut s'employer à faire du sujet un prétexte à un vrai travail pédagogique sur le rapport à la loi. Respecter la loi et ne pas en avoir peur, voilà le challenge. Rien n'empêche une loi d'être ferme, intraitable, voire impitoyable du moment qu'elle est juste et équitable. Ce travail sur l'humain, bien qu'ardu, est vital, indispensable, mais insuffisant. Il reste l'état des routes. Il reste la nature du parc automobile. Il reste l'obsolescence de nos grands taxis qui se considèrent comme les émirs de l'asphalte. Il reste l'état de nos urgences, la réactivité de nos ambulances, l'efficacité de nos hôpitaux… Mine de rien, ce combat est un vrai sujet politique, tellement il est global. Sa gestion est un vrai curseur de l'efficacité et de la bonne gouvernance.