Le ministre de la Culture, Mohamed Achaâri, a convié, mardi 20 mai, les artistes à un dîner-débat dans un hôtel de Rabat. Ils sont venus en grand nombre pour fêter l'approbation du texte relatif au statut de l'artiste par les deux Chambres du Parlement. Récit d'un dîner où tout n'a pas été du goût des invités. Ils étaient tous là. Les musiciens, les hommes de théâtre, les plasticiens, les chanteurs, les cinéastes, les danseurs et les photographes. Ils ont répondu massivement à l'invitation du ministère de la Culture. Mohamed Achaâri a ouvert le bal. Il a défini les deux points à développer lors de cette soirée : la réflexion autour de la carte professionnelle et la couverture sociale des artistes. Il a clairement délimité les deux sujets à débattre. Point de digression, parce qu'il s'agit de réfléchir et de « formuler des idées » autour de deux sujets épineux. Le micro a circulé entre les tables et il n'a pas intimidé les artistes. Certains ont même une grande familiarité avec cet outil. C'est le cas d'Abdelwahab Doukkali qui a eu l'honneur d'intervenir après le ministre de la Culture. Ce chanteur a émis une réserve sur la carte professionnelle. « Il existe des artistes qui sont employés dans des administrations et des sociétés et d'autres qui vivent uniquement de leur art », dit-il. Il préconise à cet égard de mentionner dans la carte qui est professionnel et qui ne l'est pas. Le musicien Ahmed Sabri ne partage pas cet avis. Il estime comme une injustice le fait d'enlever la qualité d'artiste aux fonctionnaires qui font de l'art. Le peintre Mohamed Kacimi a donné une autre dimension au débat autour de la carte professionnelle. Il craint que cette carte ne génère le fonctionnariat des artistes. Il rappelle que le créateur est rebelle à tout ce qui met en péril sa liberté de créer. Les ténors des syndicats se sont exprimés ensuite. Mostafa Bagdad, secrétaire général du syndicat libre des musiciens marocains, a rappelé la longue marche pour aboutir à l'approbation du statut de l'artiste. Il a cité des discussions marathoniennes à ce sujet avec Mohamed Benaïssa, Allal Sinaceur et Abdellah Azmani, tous d'anciens ministres de la culture. Abdellatif Zine, secrétaire général du syndicat des artistes plasticiens marocains n'a pas, quant à lui, fait dans l'Histoire. Il n'a pas tari d'éloges sur l'actuel ministre de la Culture, «le poète Mohamed Achaâri». Transporté par la chaleur de ses propos, il a même appelé l'assistance à «se lever pour applaudir très chaleureusement son excellence, le ministre». Ce dévouement enthousiaste du peintre a surpris de nombreuses personnes. Zine n'a pas été tendre avec Mohamed Achaâri à l'occasion de sa reconduction au poste de ministre de la Culture ! Et comme les artistes sont récalcitrants aux recommandations, certains ont oublié l'objet de cette rencontre pour aborder d'autres sujets. Quelques-uns ont même saisi l'occasion de ce dîner-débat pour présenter leurs doléances au ministre. « Il faut un quota pour protéger les artistes locaux ! », s'est exclamé un musicien. Il a rappelé la rivalité des deux chaînes de télévisions pour passer des artistes étrangers et leur mépris des chanteurs et musiciens nationaux. Le peintre Rabiaâ Echahed a demandé pour sa part la création d'espaces d'expositions d'œuvres plastiques dans les provinces. En tant qu'artiste vivant à la Chaouia, il ne trouve pas un seul lieu valable pour montrer ses tableaux. Les griefs de certains ont failli tourner aux règlements de compte. Le chanteur Hassan Mégri a accusé Hassan Nafali, présent à ce dîner, de n'avoir jamais programmé les frères Mégri au festival international de Rabat dont il assure la direction. Les plus pondérés ont proposé une journée d'études pour discuter en profondeur des propositions émises lors de cette soirée. Le chantier est lancé et l'on retiendra l'engagement du ministre de la Culture à ce que l'Etat prenne en charge une partie des frais de la couverture sociale des artistes. Mais, si des dissensions insurmontables persistent entre les artistes, l'application du texte relatif à leur statut ne verra pas le jour de sitôt. «La vraie bataille vient de commencer» a dit le cinéaste Mohamed Lotfi. Il ne croyait pas si bien dire.