Pour pousser les pouvoirs publics à négocier avec eux dans l'espoir de provoquer une révision de leur procès, les amis de Abou Hafs et de Fizazi ont rendu public, récemment, un communiqué où ils dénoncent leurs conditions de détention. Les détenus et les Chioukhs de la prison civile de Kénitra vont entamer, à partir de ce lundi, une série de protestations contre leurs conditions de détention. Il s'agit pour eux de boycotter, pour une durée illimitée, l'administration pénitentiaire. "Ils ne vont plus sortir de leurs cellules, ils n'iront plus aux séances de sport, n'utiliseront plus le téléphone mis à leur disposition, bref, ils ont décidé de ne plus traiter avec l'administration de la prison", explique Abderrahim Mohtade, président de l'association "Annassir" des familles des islamistes détenus dans le cadre de la loi antiterroriste. Un communiqué a été rédigé dans ce sens. Les protestataires exigent que la direction de la prison de Kénitra et le directeur général de l'Administration pénitentiaire respectent leurs engagements pris lors de précédentes rencontres et qui avaient trait aux conditions de détention des prisonniers islamistes et au respect des droits des familles. A titre d'exemple, les détenus n'auraient pas la possibilité de faire la prière du vendredi en groupe. Aussi, il est impossible pour eux de communiquer avec leurs co-détenus enfermés dans des quartiers au sein de la même prison. "Après plusieurs grèves préventives de la faim, qui n'ont donné aucun résultat, les prisonniers vont boycotter l'administration pour tenter de faire avancer les choses", poursuit Mohtade. A Fès, dans la prison de Boulmehrez, sept prisonniers islamistes ont entamé une grève de la faim. Selon le président d'Annassir, ces sept personnes ont été transférées de la prison d'Outita II. Toutefois, les acquis qu'ils y avaient ont complètement disparus. "Alors que l'Administration pénitentiaire présente ces transferts comme une manière de rapprocher les détenus de leur ville d'origine, les prisonniers, eux, y voient une réaction contre leurs protestations à Outita II", explique Mohtade. Parallèlement à tout cela, et à en croire Mohtade, "le procureur général de Rabat a rencontré, la semaine dernière, sur ordre du ministre de la Justice, le détenu Abdelatif Merroun, incarcéré dans la prison de Salé". Celui-ci, titulaire de la double nationalité maroco-britannique, s'est entretenu à deux reprises, et en tête-à-tête, avec le procureur. "Des promesses lui ont été faites pour que son cas soit révisé", assure Mohtade. En d'autres termes, l'Etat marocain serait de plus en plus sensible à la revendication principale des islamistes détenus dans le cadre de la loi antiterroriste, à savoir, la révision du procès. En tout cas le ministère de la Justice réfute les accusations selon lesquelles les conditions de détention seraient déplorables. Au département de Mohamed Bouzoubaâ on affirme que les détenus islamistes jouissent de tous leurs droits et même plus. "Ils ont la télévision, le téléphone, une bibliothèque et ont même le droit à un moment d'intimité avec leurs épouses, sans compter les visites directes de leurs enfants". A ce titre, le ministère, tout en rappelant qu'une délégation parlementaire s'est rendue dans plusieurs prisons pour s'enquérir des conditions d'incarcération, invite toutes les organisations internationales à faire de même". Au-delà du problème des conditions de détention, se pose aujourd'hui avec acuité la question de l'ouverture d'un véritable dialogue avec les détenus islamistes et à leur tête les Chioukhs de la Salafiya. Cette idée a été développée dernièrement par le PJD. Des responsables du ministère des Affaires islamiques se sont rendus à plusieurs reprises auprès de ces Chioukhs pour débattre d'une éventuelle ouverture d'un dialogue à l'égyptienne. Toutefois, les Chioukhs ont estimé que la notion de dialogue est, dans leur cas, "inappropriée". Et pour cause, "ils se considèrent Marocains, musulmans, respectueux du rite malékite et de la monarchie constitutionnelle", explique Mohtade. De quoi vont-il dialoguer, donc? En fait, la question est délicate. Elle l'est également pour la grâce royale. Si quasiment tous les détenus ont demandé la grâce royale, les Chioukhs, eux, refusent de le faire. Parmi les Chioukhs, qui ont une énorme influence sur leurs adeptes, citons Omar al-Hadouchi, Mohamed al-Fizazi, Abelkarim Chadli, El Miloudi Zakaria, Abou Hafs et Hassan Kettani. Ils estiment qu'une telle démarche signifierait une reconnaissance implicite des accusations retenues contre eux. Ce qu'ils exigent, par contre, "c'est une révision de leurs procès dans des conditions sereines, et dans le respect total des droits de la défense". Le bras de fer n'est pas fini. En attendant, Mohtade tient de lancer un seul message aux relents: le pourrissement de la situation provoque des désastres familiaux et sociaux. Chaque détenu a laissé derrière lui des enfants. Ces derniers, convaincus de l'innocence de leurs pères et de l'injustice qui les touche, risquent de devenir dans les prochaines années de véritables extrémistes, des dangers pour la société.